Le numérique a un penchant baroque. Il nous pousse à empiler des technologies les unes sur les autres, à les rendre interdépendantes, au point que nous ne savons plus lesquelles nous sont réellement utiles. J’aspire à toujours plus de simplicité dans ma vie, à la fois en réponse aux désordres du monde, dans un but de sobriété, mais aussi d’élégance par la stricte application du principe du rasoir d’Ockham. Tout ce qui m’apparaît accessoire, je l’élimine.

Je suis mal à l’aise avec ma façon d’exister en ligne. Outre d’encore me hasarder sur les réseaux sociaux, j’entretiens un blog, hébergé sur un serveur dédié, une machine Linux qui tourne dans un data center en échange d’une quinzaine d’euros par mois. Vingt-cinq ans que je me prête à ce jeu, avec son lot de crises de nerfs quand des hackers s’en prennent à moi, quand je dois mettre à jour les logiciels parce que les évolutions technologiques me l’imposent, quand je dois repenser en partie l’architecture pour continuer à la faire vivre, sinon elle s’écroulerait inévitablement.

Il ne s’agit pas d’un environnement serein, mais plutôt d’un constant terrain de bataille, avec de multiples fronts où la nécessité de survivre se double des attentes des moteurs de recherche, des navigateurs web, des normes en tout genre… qui tous et toutes exigent la remise en cause perpétuelle, faute de disparaître à courte échéance. Et plus on ajoute des raffinements, plus ce travail de survie se complique. À chaque instant, il y a la possibilité que le serveur tombe et que je m’évanouisse du Net, que mon travail s’évapore, que l’essentiel de mes textes deviennent inaccessibles, comme ceux de bien autres auteurs numériques avant-moi. Christophe Grebert m’a parlé récemment de notre ami Jean Veronis, décédé il y a dix ans. Je suis retourné sur son blog qui n’est plus qu’une épave, qui bientôt sombrera définitivement, faute de l’intervention d’un sauveur (autre que le vaillant Internet Archive).

J’ai donc décidé de reprendre mon chantier de pérennisation numérique, qui passe par toujours plus de simplicité. Il n’est plus question que mon existence en ligne dépende d’un serveur dédié (ou même d’un nom de domaine dédié). Ce billet est le premier d’une nouvelle époque.

Outre les difficultés déjà évoquées avec un serveur dédié (coût, maintenance, vulnérabilité…), il a la fâcheuse tendance à être dispendieux en énergie. Depuis des années, je fais fonctionner un petit radiateur dans un hangar qui nécessite d’être climatisé. Jusqu’à présent, chaque fois qu’une page de mon blog s’affichait, elle était calculée dynamiquement à partir d’une base de données (et le problème serait le même avec un serveur mutualisé ou un hébergement cloud).

Cette architecture dynamique a été pensée avec le Web 2.0, quand les blogs étaient interactifs et intégraient les commentaires des internautes en temps réel. Nous avons changé d’époque. Pour l’essentiel, les conversations ont migré sur les réseaux sociaux, et avec ce mouvement l’architecture dynamique a perdu presque tout son sens. Nos blogs sont devenus des espaces statiques, des livres numériques, ni plus ni moins. Je le sais depuis longtemps, mais par flemme j’ai tardé à changer de stratégie de publication. C’est chose faite après deux semaines de transpirations. Tous ça par la faute de Ploum.

Cette page a été calculée une fois pour toutes sur mon ordinateur personnel avant d’être mise en ligne. Elle est stockée sur un disque dur connecté à internet. Les avantages sont nombreux.

  • Consommation énergétique grandement diminuée.
  • Coût d’hébergement nul ou quasi nul suivant le prestataire choisi (et donc facilité pour créer des sites miroir pour assurer la pérennité).
  • Possibilité d’éviter un abonnement (avec le risque que son arrêt implique la fin de la mise en ligne).
  • Plus de course en avant technologique (puisque rien ne m’oblige à mettre à jour les logiciels sur mon ordinateur personnel).
  • Possibilité de ne plus m’intéresser à mon blog du jour au lendemain sans qu’il cesse d’exister à courte échéance. Il devient un livre comme un autre.

Mais passer d’un site dynamique à un site statique est loin d’être simple. Si Ploum a choisi de se défaire de WordPress, j’ai décidé d’y rester attaché, parce que j’en maîtrise les rouages et les infinies méandres. J’ai donc commencé par migrer mon WordPress de mon serveur à mon ordinateur personnel grâce à MAMP. J’ai alors testé plusieurs plugins de génération de pages statiques, tous aussi compliqués les uns que les autres, lents, contraignants, qui loin de tendre vers la simplification ajoutent de la complication, surtout pour un site comme le mien avec des milliers de pages. Après avoir testé différentes solutions, toutes plus ou moins payantes pour disposer de leurs options avancées, je me suis résolu à coder mon propre convertisseur. Mon ambition étant de gagner en tranquillité, il n’était pas question que je me repose sur des solutions partiellement propriétaires. Ma nouvelle chaîne de publication devait rester Open Source.

Ce travail de mécanisation numérique, auquel j’ai grandement associé ChatGPT, s’est doublé d’un travail de simplification de la structure des pages. J’ai tout fait pour réduire leur poids, de façon à minimiser l’espace de stockage, la consommation en bande passante, et donc en énergie. J’ai tendu vers du pur HTML. Plus qu’un seul JavaScript maison pour gérer le menu. Plus que deux polices de caractères non standard, une pour les icônes, une pour le corps de texte. J’ai même créé une version miroir du site ultraminimaliste, qui plus est téléchargeable et donc transmissible de la main à la main à la façon d’un livre.

Performances selon Google
Performances selon Google

Mon site est désormais bien plus light qu’avant et bien plus rapide par effet collatéral. J’ai remplacé les commentaires par un formulaire de contact (si j’avais tenu aux commentaires, j’aurais pu utiliser Disqus). Ainsi les conversations se dérouleront par mail, sereinement. J’ai confié la recherche à Google, puisqu’elle ne peut plus s’effectuer directement dans ma base de données. Tout n’est pas rose, puisque pour le moment j’ai choisi un hébergement statique AWS, qui est pour l’essentiel gratuit pour un blog comme le mien. Mon miroir principal est sur GitHub dans un but de partage et de pérennisation (j’ai renoncé à publier le blog sur GitHub parce que les mises à jour sont longues et hasardeuses pour mes milliers de pages et mes 5 Go d’images).

C’est non sans un petit frisson que je me suis rendu sur le site d’OVH pour annuler mon abonnement dédié. Ma nouvelle vie numérique a commencé.

PS : Mon site est toujours disponible à l’adresse tcrouzet.com et mon site miroir à l’adresse static.tcrouzet.com. Mais si demain je cesse de payer mon nom de domaine, mes textes seront toujours respectivement accessibles aux adresses d3b8yqq4f9m0o1.cloudfront.net et tcrouzet.github.io/blog/ où l’ensemble du site peut être téléchargé depuis github.com/tcrouzet/blog. Il sera facile de les déplacer ailleurs par simple téléchargement.