Lundi 1, Balaruc

Soir
Soir

Mardi 2, Balaruc

Duras pensait à toutes les femmes qui l’avaient précédée dans sa maison, vieille de deux siècles. Aujourd’hui, pour la plupart, nous vivons dans des maisons neuves, des appartements neufs, sans passé, sans avenir, sans histoire de fantômes. Et quand nous vivons dans des maisons anciennes, elles ont été rénovées, les murs enduits à nouveau ou décapés, les portes changées, les cloisons réagencées, les fenêtres remplacées. Les poignées polies n’existent pratiquement plus, guère plus que les marches creusées dans les escaliers. Vivre dans le neuf doit avoir des conséquences sur nos vies, nos rêves. Nous nous détachons des nécessités du temps.

Mercredi 3, Balaruc

J’ai repris Quelques atomes de vérité, je tente des variations sur le premier chapitre, et ma nouvelle écrite la semaine dernière d’un jet me hante, et j’imagine un recueil de nouvelles, sur le même thème. Isa me dit que cette nouvelle est mon meilleur texte, qu’elle ne sait pas où je suis allé le chercher, qu’elle ne savait pas que je l’avais en moi, et Jean-Hugues me dit la même chose, comme si j’avais découvert un joyau miraculeux en un moment miraculeux, durant deux journées de juillet où la chaleur a brièvement reculé. Je ne suis pas habitué à cet état de béatitude littéraire, qui ne tient à pas grand-chose, à la confiance renouvelée de Pierre et alors un barrage s’est brisé, mais cette nouvelle c’est comme si un autre l’avait écrite, en plus au passé simple, alors que je suis un auteur du présent et du passé composé. Je n’en ai pas terminé avec ce thème. Je ne vois plus cette nouvelle perdue dans une anthologie, je la vois en plaquette, libre, se tenant debout seule dans la lumière.

Jeudi 4, Balaruc

Depuis hier, j’écris une seconde nouvelle dans l’univers posé par la première, et j’ai l’idée de trois autres. Il ne s’agit plus de nouvelles, mais des facettes d’un kaléidoscope. Je doute de pouvoir retrouver la pureté de la première, mais je reste sur une vague porteuse et une écriture joyeuse.

Castelnau-de-Guers
Castelnau-de-Guers
La terrasse
La terrasse

Vendredi 5, Balaruc

Dans les histoires de superhéros, je n’aime que les débuts, quand ils découvrent leur pouvoir, après leurs combats sont toujours les mêmes. Dans mes deux nouvelles, je m’arrête au début, avant que l’histoire rébarbative et déjà lue et vue mille fois ne commence.


Jean-Hugues m’avait demandé 25 000 signes, et j’écris 25 000 signes, ni plus ni moins comme si c’était la longueur idéale. Il me semble que quand j’approche cette limite je n’ai plus rien à dire, à coup sûr sous l’effet d’une détente mentale, la sensation d’avoir atteint l’objectif. À vélo, j’éprouve toujours cette forme de relâchement dans les derniers kilomètres. La fatigue s’empare de moi que j’ai effectué soixante kilomètres ou cent cinquante ou voyagé durant des jours. Mon cerveau s’est fait à l’idée de l’effort et se relâche à l’approche de l’échéance.

Samedi 6, Balaruc

Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu
Après le feu

Lundi 8, Balaruc

Duras : « C’est comme si j’apprenais que tout ne peut pas relever de l’écriture, que celle-ci s’arrête qu’on le veuille ou non devant des portes qui sont fermées alors que je crois le contraire, qu’elle traverse tout, les portes fermées aussi, peu importe la raison pourquoi. » Je ne sais si l’écriture traverse les portes, je ne comprends pas trop cette notion de portes et de domaines interdits, parce que s’ils l’étaient à l’écriture, ils le seraient aussi à l’introspection, à la conscience, à la pensée, au ressenti, et alors ils seraient des imperçus et il n’y aurait rien à en dire. En revanche, je sais que l’écriture peut créer des mondes, des pays, des personnages, des dieux. Elle n’est pas seulement un microscope ou un télescope, un scanner qui passerait à travers tous les murs. Elle est avant tout une machinerie à fabriquer du merveilleux. J’écris souvent pour dire ce que je ressens, ce qui m’arrive, mais quand je sors de moi par l’imaginaire je m’allège et l’allégresse s’empare de moi. Même si le texte finalement écrit n’intéressera personne, il m’aura enthousiasmé.

Soir
Soir

Mardi 9, Balaruc

J’aimais les fortes chaleurs, mais ce matin, une fois de plus, j’éprouve beaucoup de difficultés lors du retour à vélo par 37°. Je dois me résoudre à cette nouvelle faiblesse.


Je ne prends presque plus de photos avec mon téléphone, parce que je les trouve sans contraste, sans lumière, fades et plates, même après avoir fait remplacer l’objectif défectueux, mais je suis incapable d’acheter un appareil de poche qui serait toujours trop gros à mon goût, et encore moins envie de craquer pour un nouveau téléphone hors de prix, alors plutôt travailler le posttraitement sur Photoshop ou autres (réflexion très théorique).

Mercredi 10, Balaruc

J’oscille entre Duras et Blanchot, elle me parle, je la comprends, même quand je ne suis pas d’accord avec elle, il m’agace parce qu’il abuse du « nous », tente de m’englober dans sa pensée, de me dire ce que je dois penser.

« Ce qui nous fascine, nous enlève notre pouvoir de donner un sens, abandonne sa nature « sensible », abandonne le monde, se retire en deçà du monde et nous y attire, ne se révèle plus à nous et cependant s’affirme dans une présence étrangère au présent du temps et à la présence dans l’espace. » Avec le « nous », il tente de m’inclure de force dans ses élucubrations, mais il ne me les rend pas plus intelligibles. Je le lirais mieux s’il avait écrit « Ce qui me fascine m’enlève mon pouvoir de donner un sens… ». Je pourrais l’accepter, jouer son jeu un moment.

Dans mes essais, j’ai souvent abusé du « nous », c’était une erreur, je le vois mieux dans l’erreur de Blanchot. Aujourd’hui, je préfère le « on », l’impersonnel, surtout dans les romans. J’aime sa neutralité, son abstraction. « Dans le temps, tous les après-midi d’été, on voyait les enfants plonger depuis le ponton, aujourd’hui squatté par des vieillards à demi nus. » Ce « on » inclut ceux qui étaient là, le « je » éventuellement ou la simple possibilité de voir. J’aime aussi le « on » parce que mes profs de français me défendaient de l’utiliser.

Blanchot : « Jamais tel ou tel, jamais toi et moi. Personne ne fait partie du On. « On » appartient à une région qu’on ne peut amener à la lumière, non parce qu’elle cacherait un secret étranger à toute révélation, ni même parce qu’elle serait radicalement obscure, mais parce qu’elle transforme tout ce qui a accès à elle, même la lumière, en l’être anonyme, impersonnel, le Non-vrai, le Non-réel et cependant toujours là. Le « On » est, sous cette perspective, ce qui apparaît au plus près, quand on meurt. » Comme si Blanchot savait ce qui nous apparaît quand on meurt. Il ne l’a su qu’un instant, sans pouvoir en témoigner.

J’aime ce « on » auquel personne n’appartient, ce « on » caméra, très pratique pour décrire dans les romans, ce « on » mathématique, qui dit une loi universelle : positionné là, tel jour, « on voyait… », même si personne n’était présent.

Je sens chez Blanchot que les mots s’enchaînaient d’eux-mêmes, habités d’une poésie à laquelle Blanchot ne résistait pas, et ce flot s’entretenait de lui-même, loin de tout désir de communiquer. Il a été admiré, je devine pourquoi, mais il ne me touche pas, parce qu’il n’était pas assez exigeant pour poursuivre la pensée cristalline, ou pas assez poète pour m’émouvoir, ou peut-être pas assez travailleur, pas assez exigeant avec lui-même.

Jeudi 11, Balaruc

Dans l’annuaire de la littérature numérique francophone initié par Gilles Bonnet, je découvre que mon blog est classé dans la catégorie « Autour des œuvres », comme si je passais mon temps à parler des œuvres des autres, ce qui m’arrive malheureusement trop peu souvent, parce que je suis un lecteur désespérément lent.


Pour moi, la littérature numérique est la littérature qui n’existerait pas sans le numérique, et de façon plus réductrice, qui n’aurait pas été écrite sans le numérique. Tous les auteurs contemporains diront qu’ils utilisent internet pour écrire et un ordinateur, et d’autres appareils, mais seule une partie d’entre eux dépendent intimement du numérique pour écrire des textes qui seraient impensables sans lui.

Cette définition m’importe parce que j’écris des textes numériques et des textes non numériques, sans que ce qualificatif in/out implique une publication numérique ou non. Est-ce qu’une publication en ligne rend un texte numérique ? Oui et non. Cette publication le fait exister aux yeux des lecteurs, mais le numérique n’a pas nécessairement participé à sa maïeutique.

Par exemple, mon Carnet existait avant le numérique, mais quand j’ai décidé de le publier mensuellement, je l’ai transformé, je n’y écris plus la même chose, je n’y dessine plus, mais y ajoute des photos, et le texte publié en ligne n’est pas transposable homothétiquement sur papier. Mon Carnet est devenu une œuvre numérique à partir de 2015, alors qu’il ne l’était pas au préalable (même si j’ai publié en ligne des passages dès 1996).

D’autres textes ont des destins plus compliqués. One Minute aurait été impossible à écrire sans Ulysses, mais, en théorie, j’aurais pu ne jamais le publier en ligne, avant de publier la version papier. Un texte profondément numérique peut donc ne jamais être diffusé en ligne. C’est le cas d’Équinoxe d’automne, un de mes textes de jeunesse.

J’ai déjà beaucoup parlé de tout cela, j’y reviens parce que j’écris moins de littérature numérique, hors de mon Carnet et de mes récits de voyages à vélo, deux faces de la même pièce. J’écris désormais beaucoup plus à l’ancienne, dans mon coin, dans le secret, sans interaction avec les lecteurs, n’utilisant le numérique que comme outil, certes indispensable pour moi, mais non déterminant quant à la forme de mes textes.

Pourquoi ce glissement ? Un effet de l’âge, un manque de curiosité évident pour la chose numérique, qui se renouvelle peu à mes yeux ? Une réponse au marché, parce que, pour lui, les journalistes, les critiques, je ne suis pas auteur si je ne publie pas de livres papier de temps à autre ? Une conséquence de la marginalisation de la littérature numérique, qui n’apporte que peu de satisfaction comparée à la littérature traditionnelle ? Une fatigue des réseaux sociaux, de la publicisation de soi, du marketing qui accompagne toute publication en ligne ? De la grande joie de voir des libraires pousser mes livres alors qu’ils auraient pu en choisir mille autres ? Un vrai plaisir de travailler avec des éditeurs ? Parce que je ne trouve plus assez de stimulation sociale en ligne, alors que toute œuvre nativement numérique en a besoin ? Il doit y avoir un peu de tout cela.

Le problème est sans doute plus intime : j’ai toujours été contre, en opposition, à chercher à faire le contraire des autres. Quand tout le monde se passionnait pour la TV, j’étais en ligne. Quand tout le monde a basculé en ligne, j’ai eu envie d’être ailleurs (sur les chemins avec mes vélos). J’ai toujours cette sensation que la création se joue en dehors de la rue principale. Alors je cache mon blog dans une venelle obscure.

Vendredi 12, Balaruc

Je lis la terrible histoire du coupeur d’eau de Duras (qui coupe l’eau d’une ruine où un famille en conséquence se suicide), et je me dis que je n’en écrirais jamais de semblables parce que je ne croise jamais ou presque la route des faits-divers, parce que je ne consomme aucun média qui en parle, ou quand ils le font, c’est avec tant de bruit, de commentaires, qu’écrire me paraît inutile. Aujourd’hui, soit le silence, soit le vacarme accompagne les faits-divers et ils échappent à la littérature, qui n’a besoin que d’un faible murmure pour se mettre elle-même à gronder.

Ce matin, j’ai lu des nouvelles de la guerre en Ukraine, où un général russe évoque l’obsolescence de sa propre armée, un point sur la construction d’un nouveau télescope géant, et un article scientifique remarquable, peut-être révolutionnaire, qui suggère d’analyser la conscience avec une approche relativiste. Jusqu’ici nous n’arrivons pas à conjuguer expérience intérieure et mesure objective, exactement comme le passager du train qui voit l’extérieur se déplacer dans le sens inverse du train, alors qu’un observateur extérieur immobile voit le passager foncer avec le train. Deux expériences différentes d’un même phénomène, qui exigent une mathématique relativiste.

Voilà ce qui m’a marqué, aucune histoire individuelle, aucune intimité propice à la littérature, aucune plongée intérieure avec des béances que la littérature pourrait circonscrire et laisser deviner. Je lis des généralités, des théories, des thèses, des statistiques, rarement des histoires qui éveillent ma curiosité intime. Le fait-divers a pratiquement disparu de mes yeux, et je ne sais même plus si des journaux en font encore le relevé systématique, comme jadis Détective. Alors je n’ai aucune chance d’écrire à la Duras, qui elle se nourrissait de ces histoires. La littérature se façonne de l’extérieur pour prendre une tonalité de son temps.

Et quand par le plus grand hasard je croise un fait-divers, c’est par vidéo interposée, par un trop plein d’images, tout enregistré, tout rempli, sans aucune place pour l’imaginaire et les questions. Toujours cette oscillation entre trop de silence, comme quand j’avais tenté d’écrire sur cette femme tuée par une IA automobile, ou trop d’informations, au point de tuer ma curiosité.


Duras est l’auteur de l’impossibilité de dire, d’aimer, d’être là, et aussi de l’impossibilité de se taire, de faire silence, parce qu’elle trouve à parler de tout, parce qu’un écrivain doit parler pour exister… ou s’enivrer dans son cas, ou de pédaler dans le mien. Je dis ça, et je n’en sais rien, je n’ai jamais étudié Duras, je me contente de la lire de temps à autre, parce que sa voix porte, même si son encrage dans le temps la fait s’éloigner assez vite de mon temps. Je ne sais pas si elle parlera demain, en tout cas elle parle encore pour moi comme ma grand-mère aurait dû me parler. Duras, c’est une très vieille femme qui me parle, et elle s’éloigne toujours plus avec son époque.


Je n’ai qu’une vague idée thématique pour la quatrième nouvelle dans ma série, je me dis que je ne suis pas pressé, puis j’écris une phrase, puis une autre et le texte vient encore une fois de lui-même. Cette génération spontanée me surprendra toujours.


Écoanxiété, la maladie à la mode cet été. Mais est-ce une maladie ? N’est-ce pas plutôt celui qui ne serait pas anxieux de la situation climatique qui serait malade. Nous ne serons capables d’agir collectivement que quand cette maladie aura ravagé la planète.

Samedi 13, Balaruc

Duras écrit « la grève miraculeuse des étudiants, en décembre 86 ». J’étais en dernière année d’école d’ingénieur, j’ai foncé à travers un barrage, pour rejoindre mon labo à la fac. J’emmerdais les grévistes, ils m’emmerdaient, parce que la plupart glandaient et s’enivraient toutes les nuits dans leurs soirées à la con, alors il était logique qu’ils s’opposent à la sélectivité universitaire, qui existait déjà, puisque j’étais moi-même dans un parcours sélectif au sein de l’université. Ils se battaient contre un état de fait.

Qu’un gouvernement tente de l’écrire, ils ne le supportaient pas. C’était comme s’ils entendaient pour la première fois une vérité douloureuse dont ils ne se remettaient pas. Ces grèves n’avaient rien de miraculeuses, elles étaient inutiles. J’étais de droite à cette époque, et contrairement à beaucoup, dans un sens inverse à celui habituellement observé, j’ai doucement reflué vers la gauche, avant de comprendre que j’étais anarchiste, que je ne pouvais pas accepter les grandes manifestations parce que le panurgisme me terrorisait.

Si on me téléportait en 86, je ne sais pas comment je réagirais, sans doute de la même façon. Ces manifestations n’ont servi à rien parce que la sélection est officiellement partout désormais. Je ne vois pas comment un monde sans sélection pourrait fonctionner. Nous serions tous footballeurs professionnels, tous écrivains célèbres, tous Youtuber influent. On ne peut pas tous être au même endroit. Voilà pourquoi il y a de la sélection. Il s’agit d’un vaste aiguillage qui contribue à façonner nos vies, même quand on en refuse le jeu. Nos désirs et nos envies sont sans doute la plus forte des puissances sélectives.

Je veux dire que même sans sélection instituée, il y a de la sélection. Il ne peut en être autrement parce que nous vivons en société, ce qui exige une plus ou moins grande spécialisation des individus. Si on devenait tous boulangers, plus personne ne ferait pousser le blé, ou le transporterait, ou le vendrait. Pour qu’une société fonctionne, nous naviguons vers les fonctions à pourvoir. J’appelle sélection cette navigation. Nous ne pouvons sans doute que nous battre pour la rendre le moins aliénante possible, la plus ouverte possible, la plus démocratique possible. L’État a pour mission de maximiser les chances de chacun, mais il n’a pas le pouvoir de supprimer la sélection. Le faire croire, c’est un bon moyen de séduire les électeurs, pour mieux les trahir par la suite.

Parcoursup est une tentative de démocratisation et d’ouverture. On met toutes les possibilités sur la table et on demande aux jeunes de les choisir. On leur dit voici la réalité, voici où on a des places, trouvez votre chaise, il y en a pour tout le monde, même un peu plus, mais si vous voulez tous la même, on vous sélectionnera en fonction de vos notes (et quelques autres critères obscurs). Ce n’est pas agréable à entendre. Que faire sinon ? Pousser les murs, mais alors des formations indispensables à la société ne seront pas pourvues, et le problème se retournera contre nous tous ? On arrive à la nécessité du compromis de la vie en société. Elle contraint nos libertés. Je n’aime pas cette pression, j’ai passé ma vie à la combattre, voilà pourquoi je sais qu’elle existe avec acuité. J’aimerais la faire disparaître, mais je ne suis pas magicien.

Je suis un anarchiste réaliste. Un tel anarchiste refuse les règles autant qu’il le peut. Il reconnaît les contraintes sociales pour essayer de les contourner. Il invite tout le monde à la faire. Ainsi il espère que les contraintes se réduiront, mais il ne pense pas que la vie en société puisse se vivre sans contraintes. Déjà parce que les uns ont de la chance, celle de la naissance par exemple, et les autres pas, et que ceux qui ont de la chance ont le devoir (et même intérêt) d’aider ceux qui n’en ont pas. Un mec de droite refusera de croire à « la chance » ou à « la malchance ». Il croira que le travail peut s’en affranchir. Je ne le crois pas. Alors l’État doit jouer son rôle. Je suis un anarchiste qui accepte la nécessité de l’État.


Duras regardait beaucoup la télé parce qu’elle en parle beaucoup, et de ce qui était dit par la télé, et la naissance d’internet lui échappait, l’émergence de la théorie de la complexité, le jeu de rôle, autant d’évènements marquants de son époque. Je suis façonné par une autre réalité médiatique et je ne perçois pas ses angles morts, et connaître leur existence invisible me terrorise. C’est comme vivre dans un monde où il y a des extraterrestres et ne pas les voir.

Dimanche 14, Balaruc

Duras parle de la présence en creux de la mer quand elle est à Trouville. La mer est là, même quand Duras ne la voit pas. Et elle réussit à vivre parce qu’elle la devine à la couleur du ciel au-dessus d’elle. Faut être du bord de mer, puis en vivre loin, pour éprouver le manque de la mer. Je peux voyager loin de la mer, loin de mon étang, mais je dois y revenir vite. Des gens partent pour ne jamais revenir. Je suis incapable de les comprendre. Ils appartiennent à une autre culture que la mienne.


Quatrième nouvelle de la série bouclée. Un petit roman à facettes s’élabore par magie sur le modèle One Minute. J’en cueille les fruits jour après jour. La première nouvelle était imprévue, les suivantes la commentent, l’expliquent, la démultiplient, creusent l’univers. Elles ne sont en rien nécessaires, mais j’aime leur musique parce qu’elles reprennent le thème initial, le varient, jouent avec. Je m’éloigne de la pureté spontanée pour entrer de plus en plus dans l’affabulation, pour affirmer la dimension romanesque de tout récit, et la possibilité mécanique de décliner à l’infini toute histoire, ou du moins jusqu’à l’épuisement de l’auteur.

Lundi 15, Balaruc

J’aime relire mes textes dans Ulysses version iPhone, en tenant le téléphone à la verticale, donc avec peu de mots par ligne. Le raccourcissement des lignes m’incite à couper des mots inutiles ou à simplifier la syntaxe, sans doute un réflexe de journaliste habitué au colonage. Changer de perspective visuelle sur mes textes me les fait apparaître neufs.


Durant tout l’après-midi, j’entends la musique des joutes, je vois la barque rouge et la barque bleue foncer l’une vers l’autre, j’entends vaguement les commentaires du haut-parleur. Le tout à un peu moins d’un kilomètre. Je me dis que je devrais y passer pour retrouver l’odeur de mon enfance dans la chaleur humide d’août, cette odeur associée aux grands tournois annuels, celle des chouchous cuits dans de grandes marmites caramélisées. Il y avait aussi des marchands de ballons et de jouets de plage. Une ambiance de fête foraine. Je suis resté à distance, parce que j’écrivais, mais dans cette ambiance dans ma tête dont je ne percevais que les rumeurs.

Hier, je suis passé au moment des finales, parce que le grand tournoi du village dure plusieurs jours, avec des tentes pour protéger les spectateurs du soleil, des gradins montés le long du port, l’avenue interdite à la circulation. À la buvette, j’ai croisé un vieil ami. Il y avait les prémices d’aujourd’hui, mais je n’y suis pas retourné, comme si je voulais garder les 15 août de mon enfance dans mon souvenir. Depuis plus de vingt ans, je passe les mois d’août ailleurs, mais pas cette année, je ne pars qu’après-demain.

Frontignan
Frontignan
Pérols
Pérols

Mardi 16, Balaruc

Duras : « Je voudrais écrire un livre, comme j’écris en ce moment, comme je vous parle en ce moment. C’est à peine si je sens que les mots sortent de moi. En apparence rien n’est dit que le rien qu’il y a dans toutes les paroles. » De l’usage du carnet, de libérer des dires, des phrases qui n’iraient nulle part ailleurs, qui n’ont rien d’indispensable parce qu’elles sont la vie, et peut-être résument la littérature. Elles ne s’inscrivent pas dans son histoire, puisqu’elles n’en altèrent en rien les règles, n’inventent pas de formes nouvelles, restent des paroles sans structure, mais elles résument tous les textes jamais écrits, puisqu’elles en mettent à jour l’énergie sous-jacente.


Dans mes Quelques atomes de vérité, je bascule dans le rocambolesque. Je commence par parler de moi, de mon père, je laisse penser au lecteur que tout ce que je dis est vrai, puis j’introduis de la fiction, puis de plus en plus, provocant, j’imagine, un doute chez le lecteur jusqu’à ce qu’il n’ait plus de doute, jusqu’à ce que l’affabulation ait pris le pouvoir. Cette structure narrative répond au développement théorique à l’intérieur du roman. J’ai écrit un texte peut-être trop explicitement littéraire sous le couvert commode du roman policier.

Dans mon roman à facettes, je dois me garder de cette tentation du toujours plus de fiction. Je commence par une impossibilité, par un mystère, je dois au contraire tout faire pour revenir à la normalité, dérouler un processus inverse, rendre acceptable le merveilleux. Mais quelque chose en moi me pousse vers toujours plus de fiction, voilà pourquoi je ne suis pas un romancier populaire, je ne parviens pas à garder le récit dans les rails du réel, je sais trop pertinemment que je suis dans un livre, dans une œuvre d’imagination, et je me sens incapable de la limiter pour qu’elle soit crédible, alors j’abandonne le lecteur et pars en orbite.


Sensation d’un vide, d’un manque, de solitude, d’abandon, chaque fois que je termine la lecture d’un livre que j’ai ressenti intimement. Fin de La vie matérielle de Duras. Je n’éprouve pas cette sensation avec tous les livres, seulement avec ceux qui ont de l’importance pour moi, les autres souvent je ne les termine pas. Je termine peu de livres, alors peut-être que cette rare prouesse explique mon trouble. Des films m’ont laissé comme ça. L’Aventura la première fois. Andreï Roublev. Hier soir, j’ai regardé le début du Guépard, toujours aussi beau, même sur mon écran d’ordinateur, presque trop beau, j’ai dû arrêter pour basculer sur une sombre merde pour me soulager de l’excès de beauté. Voilà pourquoi je ne visite plus les musées. Les œuvres m’affectent trop intensément et j’ai du mal à m’en remettre. La nature aussi est parfois douloureuse, mais elle ne s’achève pas, c’est moi qui m’en détourne comme d’un livre que j’aime et que pourtant je ne terminerai jamais. Il doit me rester quelques lettres de la correspondance de Flaubert que je n’ai pas lues, que je ne lirai sans doute jamais.

Orage
Orage

Mercredi 17, Balaruc

Hier soir, 21h, appel de Tim qui sort de la salle de sport. « On m’a volé le vélo. » Je m’y attendais, quand au début du mois il a changé de salle, parce que celle à côté de la maison a fermé pour les vacances. Je l’avais prévenu. Il est impossible de laisser un vélo dehors par chez nous, même cadenassé. Tim était mal, et moi aussi, nous avions la nausée, parce qu’un vol est toujours une agression, surtout que nous avions acheté ce vélo en Floride. C’est un sentiment qui nous a été volé, plus qu’un objet. La sensation d’être confronté à une société qui ne respecte pas les mêmes règles que nous. Tim était dégoûté, non pas d’avoir perdu son vélo, mais de l’humanité. J’ai tenté de positiver la situation, de la transformer en enseignement. Mais je me réveille tôt, toujours en panique. Cette attaque a brisé l’état de concentration créative dans lequel je me prélassais depuis un mois. Comme un retour du principe de réalité.


Chez nous il n’y a pas grand-chose à voler à part des livres, beaucoup de livres, ce qui n’intéresse guère les voleurs. Ils cherchent l’électronique. Avant le départ en vacances, pris de panique, je lance un backup de mes photos, qui ne sera jamais terminé à temps.


Blanchot : « Écrire, c’est entrer dans l’affirmation de la solitude où menace la fascination. » Il parle pour lui, perdu dans sa solitude, fasciné par sa propre écriture, au point de perdre toute envie de transmettre des émotions comme des idées. Que des mots pour ne rien dire. On me fait parfois ce reproche quand j’écris sur le vélo. J’ai pourtant l’impression d’être clair et net, droit au but. Blanchot devait avoir la même impression, et beaucoup aujourd’hui encore l’adorent. Il leur donne en quelque sorte le droit de se regarder écrire.


Je suis fatigué par cette idée rabâchée au sujet de la solitude de l’écriture. Non, ce n’est pas une nécessité, pour preuve les ateliers d’écriture, l’écriture participative comme j’ai pu la pratiquer, le blog ou écriture et lecture coïncident pratiquement et s’entretiennent l’une l’autre, même ce journal ne s’écrit pas dans la solitude. Je ne réussis à écrire que quand je me sens au milieu des autres, connecté à eux, sinon je divague.

Jeudi 18, Montagnac

L’écrivain peut croire qu’il œuvre même quand il n’a rien à dire.


Mon beau-père n’arrive pas à imprimer depuis son iPhone. Je lui explique la procédure, puis je lui demande de tester avec un document au hasard. Il imprime un PDF en provenance de chez Adobe. Ça marche. Je lui ramène l’impression tout en lisant le document. C’est une facture. Moi : « Pourquoi vous êtes abonné à ce service ? » Lui n’en sait rien. Je me connecte à son compte Adobe et découvre qu’il a souscrit sans conscience pour près de 300 euros d’abonnement annuel dont il n’a aucun usage. J’ai le plus grand mal à supprimer tout ça. À tout hasard, je regarde les abonnements sur son iPhone et découvre un Microsoft 365 dont il n’a pas d’avantage l’usage. Bilan 350 € par an économisés. Combien d’autres abonnements inutiles a-t-il souscrits à cause de messages publicitaires trompeurs ? On n’est pas loin du racket, voire de l’escroquerie.

Tabac
Tabac
Windows XP
Windows XP
Windows XP
Windows XP

Vendredi 19, Montagnac

Matisse regarde une photo d’un de ses premiers tableaux et trouve que tout y est déjà, même si à l’époque il trouvait ce tableau mal fichu. « Au fond je n’ai fait par la suite que développer cette idée, vous savez on n’a qu’une idée, on naît avec, toute sa vie durant on développe son idée fixe, on la fait respirer. » Matisse se trompe. Ce qu’il voit de commun à tous ces tableaux n’est pas une idée qui serait là depuis le début, mais un processus qui mène des uns aux autres et les connecte à travers le temps. Il voit une filiation, une parenté, même quand nous autres ne la voyons pas, il la voit parce que cette parenté c’est lui.

Parce qu’il serait terrible que nous n’ayons qu’une idée congénitale. Nous devrions vivre avec, la chercher, la déterrer. Et d’où viendrait-elle ? Une idée innée comme Kant nous supposait en avoir du temps et de l’espace. Nous serions condamnés à une fatalité. Non, ça ne colle pas avec le dynamisme de la vie. Nous sommes des histoires en mouvement, pas des idées fixes. Alors nous pouvons espérer des surprises qui nous traverseront et nous feront changer de route. Notre vie n’est jamais décidée, même si elle est contrainte. Mais Matisse savait cela, puisqu’il n’a cessé d’être curieux et de se surprendre lui-même.


Matisse : « La composition qui doit viser l’expression, se modifie avec la surface à couvrir. Si je prends une feuille de papier d’une dimension donnée, j’y tracerai un dessin qui aura un rapport nécessaire avec son format. » Remarque qui vaut aussi pour les écrivains, et sans doute pour tous les artistes. Ce qui vaut pour un roman ne compte pas de la même façon pour une nouvelle.

Je me dis toujours que je ne suis pas un auteur de nouvelles, et en vérité peut-être que je ne fais qu’écrire des nouvelles, et que mes textes longs ne sont que des nouvelles juxtaposées pour qu’elles entrent en résonance. Une nouvelle ne me suffit pas, mais pas davantage un roman qui serait une nouvelle simplement enflée pour tenir la distance d’un format commercialement admit.

J’aime qu’une idée se développe d’elle-même et retombe dans un même mouvement. Je ne danse plus, mais j’écris comme on danse, ou plutôt comme on dessine sur une feuille de papier. Je ne suis pas un écrivain de tableau classique où on travaille durant des mois au moindre détail. Je vais vite au but dans une esquisse rapide. Et je préfère poser à côté une autre esquisse, puis une autre, plutôt que perfectionner indéfiniment l’esquisse initiale. J’ai alors l’impression de la tuer, de me battre contre le moment de sa naissance. J’ai toujours préféré les ébauches des peintres à leurs œuvres finales, ou les peintres dont les œuvres sont des ébauches. Voilà peut-être la constance dont parle Matisse, une inclinaison davantage qu’une idée, une attirance pour le sucré plutôt que le salé. Pourtant j’ai aimé Proust et Flaubert.


Matisse parle de la retouche, des tableaux qu’il garde à vue pour y revenir de jour en jour. Même si je privilégie le jet, je reviens sans cesse sur mes textes jusqu’à ce que je n’y parvienne plus. Je tente de ne pas distendre et perdre la vitalité initiale, j’ai toujours peur de tout casser. Plutôt que trop bouleverser le texte lui-même, je préfère en poser un autre à côté, passer au chapitre suivant. L’écriture est souvent concentrique plutôt que linéaire. Raconter une histoire, puis la raconter de nouveau avec des variations.

Samedi 20, Montagnac

Est-ce parce qu’en ce moment j’écris des nouvelles, donc de petits textes, que j’apprécie de les relire et de les retravailler sur mon mobile ?

Dimanche 21, Montagnac

Matin
Matin

Lundi 22, Montagnac

Matisse : « Il y a des moments où même les très grands arts nous sont inacceptables, parce que nous suivons une ligne de développement où ils n’ont pas de place. » J’éprouve souvent cette sensation. Je reconnais le génie, mais il ne me parle pas, il ne me fait pas avancer sur mon chemin. Je le rencontrerai plus tard, ou bien je n’y parviendrais jamais, sans que j’en sois déçu. D’autre fois, des œuvres dites mineures, voire méprisées, me bousculent et m’influencent bien plus que d’autres célébrées. Je m’en moque. Je cueille ce qui me parle à un moment donné. C’est comme ça que je me suis fabriqué.


Je suis cité dans un commentaire sur un blog que je crois ne pas connaître. Je remonte le lien et tombe sur un site d’un minimalisme absolu, un des plus purs jamais vu, avec une navigation réduite à presque rien et à une page d’accueil qui se résume à un search. Un désir évident pour l’auteur de disparaître même si ses propos sont personnels. Malheureusement, il ne me faut que dix secondes pour retrouver le nom de famille de l’auteur, son profil Linkedin et son métier, puis de prendre conscience que nous avons déjà interagis.

Difficile de n’être que des mots. Du coup, je me demande si la philosophie du site a du sens puisque l’anonymat n’y est que de façade. Mais ce minimalisme, cette discrétion relative affichée, puisqu’elle ne se fait pas hors des yeux de Google, explique peut-être pourquoi il reste des commentaires sous les billets, comme au bon vieux temps. On ne peut pas accuser l’auteur de faire du marketing de soi, alors même que paradoxalement son attitude me pousse à parler de lui. Une approche à méditer. La sobriété poussée jusque dans la parcimonie médiatique. Mais qui peut aussi devenir une posture médiatique. On n’en sort pas. Pour cela il faudrait cesser de communiquer en ligne (et pour moi cesser de publier des livres, et ne plus organiser des voyages à vélo, et abandonner trop de choses auxquelles je tiens).

Mardi 23, Montagnac

Matisse : « Les détails, la peinture n’a plus à s’en préoccuper, la photographie est là pour rendre cent fois mieux et plus vite la multitude des détails. » Voilà qui pourrait définir la quête artistique : aller avec son art où les autres arts ne peuvent aller avec spontanéité et facilité. Beaucoup de romanciers écrivent ce qui pourrait être tourné, ni plus ni moins. Leur seul rêve : être adaptés.

Je lis les Écrits et propos sur l’art de Matisse parce qu’il me semble devoir effectuer avec les mots la même transition que lui. Évacuer les détails, garder l’essentiel, toujours raconter, mais avec une rapidité qui serait insupportable en image, même sur TikTok.

En même temps, hier, je lisais un extrait d’un nouveau roman à coup sûr médiocre, où l’auteur ne prenait tellement pas son temps que son récit en était factice et se réduisait à une ribambelle de clichés. Il me faut donc prendre mon temps, ce qui n’est pas forcément dans ma nature, sans pour autant délayer selon la technique « américaine » du page turner, qui consiste à remplir les récits de vide et les jeter du haut des falaises à la fin des chapitres.

Les séries et les vidéos brèves qui nous assaillent continuellement remettent en question la littérature, d’une façon nouvelle par rapport au cinéma. Une fois de plus, elles poussent la littérature dans ses retranchements pour qu’elle renaisse de ses cendres. Je suis sensible à ce mouvement, sans être sûr d’avoir une réponse précise. Je suis touché parce que j’aime mettre en couleur, esquisser des paysages et des lumières. Je suis en concurrence.

Matisse disait que la peinture ne devait plus être historique parce que les livres disaient mieux l’histoire et les histoires. Il n’a pas vu venir la BD, certes un autre art, mais qui, exposé dans les musées, se pare d’une picturalité saisissante. Je ne crois pas qu’il soit possible d’enlever à un art tel ou tel sujet, de l’effeuiller, sinon il ne lui resterait en fin de compte qu’un bouton de plus en plus riquiqui. Je ne suis pas trop d’accord avec Matisse, en fin de compte.


J’ai arrêté de théoriser, du moins de vouloir appliquer des théories. Je prends ce qui vient, même si je sais que la réflexion théorique influence ce qui vient.

Saturac avec Tim
Saturac avec Tim
Saturac avec Tim
Saturac avec Tim

Mercredi 24, Montagnac

Un apiculteur nommé Thierry Crouzet. Il y a aussi un écrivain toulousain du même nom, arrivé après moi sur le marché. Idée : écrire les vies minuscules de mes homonymes et voir si notre nom nous influence.


J’aime réécrire plusieurs fois la même chose comme Cézanne peignait des Sainte Victoires ou des baigneuses. One Minute n’est qu’une répétition. Mon roman à facettes aussi, avec des facettes plus amples et moins nombreuses, mais toujours selon le même procédé. Je préfère être conscient de me répéter, plutôt que de me croire original alors que je répète les autres.


Et de cinq nouvelles entrelacées comme leurs protagonistes, la structure répondant au récit lui-même. D’habitude, je parle davantage de mes textes dans mon carnet, parce que j’ai besoin d’en clarifier le propos. Cette fois la matière s’est imposée d’elle-même. Je la note sous la dictée, sans davantage avoir à y réfléchir. J’ai l’idée d’une sixième possibilité, difficile, dont je doute d’être capable.

Au bout du chemin
Au bout du chemin

Vendredi 26, Balaruc

Dans le monde du vélo amateur-baroudeur, on nous vend des épreuves sans nous en donner le tracé, sauf deux jours avant. Quand je suis invité au resto, je ne fais pas la fine bouche, mais quand je dois payer, je regarde la carte. Là elle est écrite en tout petit pour empêcher de la lire. Parfois j’ai l’impression que ça ne choque que moi. On demande aux participants de payer le prix d’un trois étoiles et le plus souvent ils se retrouvent chez Flunch (et comme ils ont payé cher, ils se sentent obligés de se taper le ventre).

Mercredi 31, Paris

J’accompagne Tim à son nouveau Lycée, son internat, puis je l’abandonne à sa nouvelle vie et depuis le pont de Mirabeau remonte la Seine rive gauche. Des cyclistes, des joggers, des skateurs, des boxeurs, des culturistes, des danseurs, de la couleur partout, des corps resplendissants, musée à ciel ouvert d’une nouvelle civilisation, là où dans ma jeunesse régnaient les voitures. Sur ces quais, une énergie incroyable. Je suis frustré de ne plus pouvoir courir sans me défoncer la hanche. Mais à marcher parmi eux, à les regarder, je les comprends, parce que je ressens leur besoin, la nécessité d’engager le corps pour contrebalancer la société de l’information (à moins qu’il ne s’agisse que d’un culte de l’apparence poussé à l’extrême pour paraître dans la société de l’information, une quête du photogénique, et alors cette énergie serait négative, le travail sur le corps ne serait pas en même temps un travail sur la terre, une écocologie généralisée).

De la chambre de Tim
De la chambre de Tim