Collines de la Moure

Gravel : le tour de Sète Agglopôle Méditerranée

La contrainte stimule la créativité. Par exemple, les poètes s’imposent la versification, les peintres des tableaux rectangulaires, ou carrés, ou ronds… Le confinement s’est transformé en contrainte pour les cyclistes. On a commencé par remplir le cercle des 1 km, puis celui des 20 km. J’ai alors pensé à faire le tour de mon agglo avec mon gravel, en roulant au plus près de la frontière, tout en minimisant l’asphalte et évitant les grands axes, sans jamais passer deux fois aux mêmes endroits.

J’habite à Balaruc les Bains, une des quatorze communes de l’agglo avec Sète, Frontigan, Vic la Gardiole, Mireval, Gigean, Montbazin, Poussan, Villeveyrac, Balaruc le Vieux, Bouzigues, Loupian, Mèze et Marseillan. Avec 125 000 habitants et une densité de 405 habitants/km², on est au-dessus de la moyenne française, mais il nous reste beaucoup d’espaces naturels, avec de merveilleux terrains de jeu pour le gravel et le VTT, et une diversité de paysage assez incroyable.

L’agglo
L’agglo

J’ai commencé par repérer les frontières des communes, puis j’ai connecté mes traces habituelles pour rouler au plus près tout en restant à l’intérieur. J’ai alors pris conscience que je n’avais jamais roulé dans certains coins périphériques. J’ai dû enchaîner une dizaine de reconnaissances pour fignoler un tour de 125 km et 1 300 mètres de dénivelé positif, avec l’objectif qu’un gravel puisse passer sans trop de difficulté. Il me restait à rouler le tour en une seule sortie.

Sète depuis Balaruc
Sète depuis Balaruc

Le 13 décembre, après deux jours de pluie, s’ouvre une fenêtre météo favorable. Quand je m’élance à 8 h 15, le soleil colore de rose les nuages qui flottent au-dessus de Sète. Il n’y a presque pas de vent. Il fait 8°C. Balaruc les Bains est l’une des communes intérieures de l’agglo, où la trace ne passe donc pas. Je la retrouve quand elle rejoint le canal du Rhône à Sète après 4 km de piste cyclable.

Secteur Frontignan

Je zigzague entre les flaques boueuses du chemin de hallage. Dans mon dos, Sète. Au nord, les collines de la Gardiole s’illuminent. Au sud s’alignent les réservoirs circulaires du dépôt de carburant. Quand j’étais gamin, il y avait là une raffinerie, avec sa torchère. On venait la visiter avec l’école. Quand nous aurons basculé au tout électrique, même le dépôt sera démantelé, les terrains sans doute trop pollués pour être constructibles. La mer finira par tout recouvrir.

Quand je pédale seul, des pensées ne cessent de se présenter. Elles passent, sans s’arrêter. Je suis dans un état méditatif. Je contemple mon monde intérieur comme le paysage, présent à lui et à la fois détaché, peut-être parce que déjà une nouvelle perspective apparaît, qui chasse la précédente.

Le canal entre dans Frontignan, passe sous la voie ferrée et se poursuit vers les anciens marais-salants. Je roule sur la levée avec l’eau autour de moi. Le single est joueur, surtout après l’ancienne salinière, la ferme à sel. Ondulations et zigzags me font penser à de gentilles montagnes russes.

Canal du Rhône à Sète
Canal du Rhône à Sète

Secteur Vic la Gardiole 1

Après la passerelle, je quitte le bord de l’étang d’Ingril, souvent bourbeux en automne et hiver, pour entrer dans le bois des Aresquiers : une pinède touffue avec une vaste allée centrale tapissée d’aiguilles de pin ; un pur régal pour mes pneus. Je ressors plus loin pour rejoindre l’étang et tout de suite me brancher sur la piste cyclable.

Si j’avais été plus rigoureux dans mon projet de tour d’agglo, j’aurais pu la suivre dès Frontignan pour me rapprocher de la frontière sud marquée par la mer. Mais avec mon gravel, comme avec mon VTT, je ne prends les pistes cyclables qu’en désespoir de cause, surtout si non loin se déroule un des plus beaux chemins de la région.

Je passe devant la métairie des Aresquiers, dont mon trisaïeul était le régisseur, d’après la légende familiale. Sur ma droite, j’aperçois l’étang de Vic, puis traverse le village, dont le centre s’est embelli ces dernières années, avec une succession de restaurants et de commerces.

Je le quitte par le nord, les collines de la Gardiole à une courte encablure, mais j’attaquerai leur ascension un peu plus tard.

Les Aresquiers
Les Aresquiers

Secteur Mireval

La piste cyclable se poursuit sur une route peu fréquentée ou je ne recontre pas la moindre voiture. Je longe la voie ferrée, traverse le sud du village, direction l’extrême est de l’agglo par une petite route communale, où je croise beaucoup de cyclistes. Cette belle journée invite à la balade.

Je bifurque vers la garrigue et un chemin m’amène au sommet des falaises qui entourent le Creux de Miège, un mini-fjord jadis excavé par la Méditerranée. Le contre-jour m’empêche de photographier dans de bonnes conditions la perspective déroulée jusqu’à la mer. Je redescends par un single un peu traître pour les roues de mon gravel, et où un VTT serait plus à son aise, mais le secteur délicat est court et peut être franchi à pied.

Après 25 km parcourus, je ne m’arrête pas au cimetière pour me ravitailler en eau. Je n’ai bu qu’un quart d’une de mes deux gourdes. De même, je ne m’arrête pas au centre de Mireval pour acheter à manger. Je poursuis droit en direction de la Gardiole.

Vers le trou de Miège
Vers le trou de Miège

Secteur Vic la Gardiole 2

Après la traversée de la D114, une draille râpeuse m’amène dans les collines. En descente, elle serait quasi impraticable à gravel, mais en monté elle glisse sans difficulté, puis me jette au pied de la piste DFCI de la Roubine, ascension aussi surnommée l’Alpe d’Huez, qui m’amène au sommet du pioch Noir, point culminant du tour à 210 mètres d’altitude environ.

Je rattrape trois vététistes en grande conversation, échange quelques mots avec eux, puis les distance. Mon vélo est sans doute quatre kilos moins lourd que les leurs et bien plus dynamique en montée. Cette ascension fait toujours mal aux jambes : le sol tantôt caillouteux tantôt gravillonneux ne rend pas et le pourcentage dépasse souvent les 10 %. Peu à peu la perspective se révèle sur la mer. J’ai au-dessous de moi le chemin parcouru depuis mon départ.

La draille
La draille

Secteur Gigean

Après le pioch Noir, je traverse le plateau et plonge sur le versant nord de la Gardiole, un secteur boisé, traversé de dizaines de singles idéaux pour le VTT. Je passe sous l’autoroute et dévale vers Gigean par une petite route bucolique, bordée de vieux murets en pierres de taille. Après avoir traversé aux feux la N113, je m’arrête à la boulangerie. J’ai emporté des barres de céréales, mais dès que je m’attaque à des longues distances, je retarde le moment de toucher à mon garde manger tout comme de manger trop sucré.

Les glucides boostent les performances, mais momentanément. Quand je suis en endurance, les glucides finissent par me dégoûter. Et si je prolonge l’effort sur plusieurs jours, j’ai souvent des problèmes digestifs. Je m’habitue donc à les limiter, ainsi mon organisme apprend à puiser dans ses réserves profondes et je réduis mes risques d’hypoglycémies.

Après avoir englouti un croissant au jambon et rangé dans la poche arrière de mon maillot un hot-dog, OK il y a plus diététique, mais c’est mieux qu’un mille feuilles ou une tarte au citron, je m’arrête au cimetière pour faire le plain d’eau. Je n’en retrouverais pas durant un bout de temps.

Une petite route me conduit vers l’est, puis un chemin me fait contourner une vigne à flanc d’un dévers argileux. Je franchis l’ancienne voie de l’intérêt communal, encore équipée de ses rails.

Descente
Descente

Secteur Montbazin

Un beau chemin me conduit à Montbazin, village que je ne fais qu’effleurer pour repiquer vers l’est et la frontière de l’agglo, où se déroule un dédale de singles des plus agréables pour le gravel. Pas la moindre pierre, juste un velours de terre jaune ou d’aiguilles de pin. Je continue à travers vignes et chemins dans un secteur qui ne m’était pas familier avant mes reconnaissances, mais que j’apprends peu à peu à maîtriser.

J’entre bientôt dans les collines de la Moure, dominée par un champ d’éoliennes, pour l’essentiel situé hors de l’agglo. Je reste donc sur les contreforts de cette ligne de crête qui culmine à 300 mètres. De belles pistes DFCI à la terre de plus en plus rouge révèlent une ample perspective vers la mer et Sète, mais aussi vers Montpellier. Au loin, j’aperçois le mont Ventoux enneigé.

Après avoir coupé la route communale desservant le mas d’Antonègre, j’enchaîne une des plus belles DFCI du coin. Elle déroule aux flancs des collines un ruban rouge en une succession de toboggans que j’aime enchaîner à fond de train pour gagner assez de vitesse pour escalader les remontées sans trop d’efforts.

Entre les vignes
Entre les vignes

Secteur Poussan

La DFCI se poursuit. Le temps de couper la D2, elle reprend de plus belle, en une longue ascension régulière et roulante qui offre un panorama de carte postale sur l’étang de Thau, Sète et la mer. Alors débute la plongée dans la vallée de Villeveyrac.

Ça grimpe
Ça grimpe

Secteur Villeveyrac

La piste se poursuit en ondulations, mais je la quitte en longeant une vigne pour descendre à travers un bois vers les terres rouges des anciennes carrières de bauxite. Je coupe une seconde fois la D2, puis regagne les abords des collines chapeautées par les éoliennes. Le viaduc de l’ancienne voie ferrée semble avoir été téléporté au milieu des vignes.

Je passe devant la gare transformée en habitation, contourne le lac de l’Olivet, un immense trou de mine, rejoins une petite route, grimpe jusqu’à bifurquer sur un single perché sur une étroite ligne de crête qui fonce vers une pinède. Un magnifique secteur, un peu technique avec un gravel, mais qui passe bien.

Il est environ 12 h 45 quand je m’arrête au soleil pour manger mon hot-dog à la béchamelle. J’ai parcouru 63 km et grimpé 900 mètres. Mon compteur indique 16°C. Que demander de plus un 13 décembre ?

Je quitte la pinède pour un secteur plus agraire : des champs se glissent entre les pinèdes ou inversement. Je m’étonne que certains agriculteurs retournent leur sol en profondeur, traçant des sillons qui m’apparaissent comme autant de blessures pour la terre. Ne savent-ils pas qu’ils tuent ainsi les insectes qui les dispenseraient d’abuser d’engrais ?

Il fait chaud, je bois beaucoup, j’attaque ma seconde gourde. En été, je pense qu’il serait raisonnable de s’arrêter à l’Abbaye de Valmagne où il y a un robinet, et même un restaurant. Elle ne se trouve à qu’à 500 mètres au nord de la trace, on ne peut pas la manquer quand on croise la D161.

Les chemins deviennent plus lourds. Mes pneus se chargent de terre, mais je n’ai pas besoin de les nettoyer qu’une fois, quand j’emprunte un single chargé de boue par les dernières pluies.

Route de montagne
Route de montagne

Secteur Mèze

Je retrouve un bout d’asphalte, mais bref, et repique vers l’ouest entre champs, traverse une nouvelle pinède, toujours aussi ébahi par la lumière sous les frondaisons. L’asphalte revient. La route ondule gentiment en même temps que le soleil aussi tourne. Depuis ce matin, je l’ai souvent dans les yeux.

Des sentiers, des campagnes, des maisons isolées, un vaste jardin entrecroisé de routes goudronnées ou non. On dirait le pays dessiné pour le gravel. Parfois, je vois un routier au loin, penché sur son course comme s’il voulait en mordre le cintre, et je me dis qu’il passe à côté du pays, qu’il ne fait que l’effleurer, tout en devant se frotter aux voitures alors que je n’en ai croisé aucune depuis mon départ.

J’aperçois le musée des dinosaures, avant d’obliquer vers Montmèze, une grappe de maisons en sangsue sur la N113, route qui me terrifie lorsque par erreur j’y atterris au cours d’une reconnaissance malencontreusement déviée vers elle.

Je quitte ma petite route au croisement de la voie Domicienne, tourne à droite au bord d’une vigne, gagne une piste en contre bas d’un bois et la boue m’arrête net. Cette fois, mes pneus se bloquent. Je les décroûte une première fois, mais je n’ai pas le temps de me remettre en selle que je m’enlise encore. Je porte le vélo sur une centaine de mètres avant de repartir, sans encombre cette fois.

Je plonge droit vers l’étang de Thau. Dépasse le domaine de Font-Mars et sa majestueuse allée de pins, franchis l’autoroute, descends vers le domaine des Yeuses, et continue de chemins en petites routes à travers les vignes.

Vers l’infini
Vers l’infini

Secteur Marseillan

Quand j’approche de Bellevue, je suis toujours ébahi, quelle que soit la saison. Toute l’agglo se révèle avec au centre l’étang, son joyau. Je m’arrête sous la pinède comme à chacun de mes passages et prends toujours la même photo. La lumière est tout simplement magique. Il y a là quelque chose de très spécial, une force tectonique qui me revitalise. Je suis presque surpris que les anciens n’aient pas construit une chapelle sur ce belvédère.

Mais je quitte vite l’étang de Thau. Ma trace m’a amené à Bellevue parce qu’il n’y avait aucun moyen de passer plus près de la frontière de l’agglo. Après avoir coupé la mortelle D51, je file par le chemin dit des Romains, une ondulation qui de butte en butte contourne Marseillan, pour finir par me faire revenir sur sa partie la plus occidentale, à la hauteur de l’étang du Bagnas. Un havre de paie, un domaine protégé, au-delà duquel flotte l’ancien volcan d’Agde.

Je rejoins le canal du Midi, puis traverse Marseillan plage. Je suis toujours surpris qu’aucun passage sous-terrain n’ait été ouvert au niveau de la gare. Je franchis la voie en portant mon vélo, puis file à travers les horreurs balnéaires. Hors saison, je leur trouve un charme d’après la fin des temps. Ici, je pense toujours aux romans de Stephen King, à une calamité qui aurait décimé l’humanité, sauf moi bien sûr. Heureusement, je gagne le bord de mer bien réaménagé, puis retrouve la piste cyclable du lido.

Sète
Sète

Secteur Sète

Je n’aime pas la longue ligne droite du bord du mer, même si loin des voitures. Je ne peux m’empêcher d’accélérer jusqu’à ce que mes cuisses brûlent. Je connais un autre chemin, par les vignobles des sables, mais leur accès est interdit. Alors je reste sur la piste ne m’arrêtant que pour prendre une ou deux photos, et tentant de remplir mes gourdes à chaque point d’eau, tous condamnés apparemment. En hiver, on ne boit pas ? Un truc m’échappe.

Je bifurque enfin vers l’étang à l’entrée du domaine de Listel. Là aussi des panneaux annoncent « Propriété privée », mais je passe outre parce que si on arrive depuis Sète on ne rencontre aucune interdiction. Je pense que les panneaux ont avant tout pour fonction de désengager la responsabilité des propriétaires en cas d’accident.

Il y a foule sur la levée qui protège les anciens marais salants. Je n’ai jamais vu autant de monde. Je suis un peu déboussolé, après des heures de solitudes. Je ne cesse de dire « pardon », je me fais engueuler, je suis de retour dans la civilisation.

Je retrouve de l’eau au Pont-Levis, j’en aurai besoin, car je m’attaque à l’ascension de Saint Clair par le terrible chemin des Pierres Blanches. Pour la première fois de la journée, je me mets dans le rouge sur une pente à plus de 15 %, mais ça passe, à l’arrache. Je suis un peu sec quand j’arrive à la table d’orientation, où je ne m’arrête pas, désireux de terminer la grimpette.

Au sommet de Saint Clair, je grignote des céréales tout en regardant le port qui toujours m’invite au voyage, mais pas forcément au loin. Après tout, je viens de passer une journée autour de chez moi et je ne l’oublierai pas plus qu’une passée à l’autre bout du monde. L’aventure est où on la cherche.

Je me remets en selle, et par vice, plutôt que de descendre par le traditionnel chemin de Saint Clair, puis par la rampe des Bédouins, je dévale par la provocante Chabanette. Mieux vaut avoir de bons freins et éviter les journées pluvieuses. Mais la vue est superbe, les voitures rares. Me voilà déjà sur la corniche, avec la chaîne des Pyrénées qui se dessine dans le couchant.

La plage
La plage

Je me sens léger tout en terminant mon tour et en rentrant tranquillement chez moi. J’ai parcouru 131 km, grimpé 1 331 mètres, ma sortie aura durée 8 h 48 pour 7 h 6 de déplacements.

Je me dis que si nous tracions ainsi le tour de toutes les agglos de France, nous pourrions mailler le territoire et laisser entrevoir une infinité de parcours qu’il suffirait de confectionner par copier-coller.

Statistiques Komoot
Statistiques Komoot