Un chemin très roulant

Tout commence le 31 janvier 2020 par un message anodin de Romain Bossard, un des animateurs de l’association Hors Tarces Aventures, qui m’invite à participer au Houblon Tour, un de leurs événements bikepacking-gravel organisé du 31 juillet au 2 août 2020.

C’était avant le covid, avant le confinement. Mon programme bikepacking était copieusement rempli, mais avec un trou juste à ce moment, alors j’ai dit oui, sans plus réfléchir. Je devais rencontrer Romain à l’occasion du Grand Tour de l’Hérault en avril, annulé comme bien d’autres événements, et puis le temps a passé, nous avons pensé à autre chose, ne reprenant vraiment le vélo que mi-mai.

Sur ce, beaucoup du boulot, parce que le covid m’a fait beaucoup écrire, ne me laissant plus le temps de parler vélo, et ça ne s’est pas arrangé avec le déconfinement, encore moins avec l’été, car un nouveau projet de livre m’est tombé dessus, à remettre le premier septembre, mais quand Romain m’a relancé pour le Houblon Tour, j’ai dit une seconde fois oui, parce que je pouvais bien m’accorder un petit break.

D’habitude, j’aime savoir dans quoi je m’engage. J’étudie la trace, le dénivelé, repère les points d’eau, essaie d’identifier des restaurants sur le chemin. Cette fois, je manque de temps, j’ai juste celui de rouler trois fois par semaine, à VTT le plus souvent, des pauses indispensables pour ma santé mentale. Le reste du temps, j’écris covid, je rêve covid, je vis covid.

Romain a dit gravel, mais je n’ai pas besoin de trop réfléchir à ma bécane. Je me fiche des catégories. Pour le bikepacking, je me suis préparé une monture à géométrie variable en fonction des roues et des pneumatiques choisis, mais je me sens incapable de rouler avec moins de 50 mm. Le Houblon Tour se jouant à travers l’Aubrac, la Margeride, le Gévaudan et les Causses, j’ai pensé à des drailles pour le moins âpres et j’ai donc monté des pneus VTT en 2,1 pouces, peaufinant ma config quelques jours avant le départ, notamment expérimentant une nouvelle gestion de l’eau.

Mercredi 29 juillet

Depuis une semaine, ma seule inquiétude est climatique. Il fait de plus en plus chaud et la canicule nous tombe dessus. En tant que sudiste, j’ai beau être habitué, je sais que, quand ça cogne, il est parfois impossible de rouler dans nos garrigues devenues brûlantes. Même au repos, la chaleur augmente notre rythme cardiaque de dix à quinze pulsations, ce qui devient énorme quand comme moi on prend de l’âge, alors que notre zone rouge s’abaisse, ce qui nous rend de plus en plus sensibles au coup de chaud.

Romain me rappelle que nous serons en altitude et que nous ne manquerons pas d’eau. Reste que partir vendredi à 9 h 30 ne me rassure guère. Ça commencera déjà à brûler aussi tard dans la matinée. Et qu’est-ce que je vais faire jusqu’à 9 h 30 ?

Je suis matinal. En bikepacking, j’aime commencer à rouler avec le soleil levant et jeter l’éponge avec le soleil couchant, m’arrêtant aussi souvent que possible pour profiter des paysages et des cafés. Pour moi, c’est tout un rythme, toute une conception du vélo où on ne doit jamais se mettre dans le rouge tout en persévérant dans l’effort, d’autant que le lendemain c’est rebelote.

Je décide donc d’esquiver la soirée du jeudi soir à La Canourgue, village de départ, et de n’arriver que le vendredi matin, ayant moins de deux heures de route via l’A75.

Jeudi 30 juillet

J’ai chargé mon vélo dans mon Kangou, j’ai mis mon bidon au frigidaire et ma poche à eau au congélateur. Je suis prêt, même si une sinusite me donne mal à la tête depuis la veille.

Vendredi 31 juillet

Je pars de chez moi à 7 h, il fait déjà chaud, je file droit vers le nord, rejoins l’A75, grimpe Le Pas de l’Escalette, traverse le Larzac jaune paille, saute au-dessus de Millau, zigzague avec une stupeur intacte entre les Grands Causses avant de quitter l’A75 pour plonger sur La Canourgue.

Je me gare sous une belle rangée de platanes non loin du point de départ. Je sors mon vélo et là, horreur, j’ai oublié mon bidon et ma poche à eau. Je me revois chez moi : m’habiller, petit-déjeuner, m’en aller. Un grand coup de mou me saisit. Je suis prêt à recharger le vélo et à rentrer à la maison. Je me sens con. Tu penses à tout, tu traques le moindre gramme inutile et tu pars sans eau. Comme je suis sauvage, mais pas inapprivoisé, je m’en vais saluer Romain et la trentaine de participants.

Au départ
Au départ

Je suis si énervé que je ne dis que ma désolation. Romain me trouve des bouteilles d’eau. Jacques Cartron me propose un bidon qu’il a emporté au cas où. Il me faut quelques instants pour prendre conscience que ma situation n’est pas désespérée. Mon porte-bidon peut s’acoquiner de bouteilles d’un litre. Je vais trouver une solution.

Je descends jusqu’à l’épicerie au centre du village, achète de l’eau, deux bouteilles d’un litre remplaceront ma poche dans le sac de cadre et, accroché à ma fourche, le bidon de Jacques sera accessible à tout moment. Avec mon ancienne config, uniquement une poche à eau et pas de porte-bidon, j’aurais été dans l’incapacité de prendre le départ. C’est une leçon. À poids égal, toujours privilégier la configuration la plus polyvalente.

Au moment du départ, je suis sous adrénaline comme si nous nous élancions pour une course de côte. Il me faut quelques kilomètres pour retrouver mon calme, d’autant que les pourcentages sont très vite punitifs.

Je remarque que certains participants ne transportent aucun bagage.

— Vous faites comment, ce soir ?

— On dort à l’hôtel.

— Ha bon !

— Oui, La Malle Postale transporte nos affaires.

Nous ne sommes pas en train de faire la course, mais je ne peux m’empêcher de me dire que nous ne pédalons pas dans le même esprit. Le truc génial avec le bikepacking, c’est la sensation de liberté. Quand tu peux t’arrêter n’importe où, quand tu ne prévois rien pour le soir, te laisse porter en fonction de la forme, des paysages et des rencontres. Du bikepacking sans bagages, ce n’est plus du bikepacking.

Un gravel
Un gravel

Mais peu importe. Le Houblon Tour n’est pas une pure expérience bikepacking parce qu’il se joue en trois étapes, comme un tour classique. Nous savons par avance où nous dormirons, ce qui nous mets une forme de stress, parce qu’il faut arriver à destination à une heure raisonnable, mais aussi ne réveille pas en moi cette griserie propre à l’inconnue que représente à la nuit à venir. D’habitude, je ne sais pas combien de bornes je ferai, je pédale jusqu’à trouver l’endroit parfait pour camper ou que mes forces me lâchent.

Je ne peux m’empêcher de réfléchir, même quand ça grimpe. Le vélo est une expérience physique et intellectuelle. Je me dis que la prochaine fois, je chargerai mon vélo la veille du départ, en déroulant une checklist pour ne rien oublier. Après tout, les pilotes d’avion font ça, et un vélo de bikepacking n’est pas loin de ressembler à un avion par son haut degré de technologie. Tant pis pour l’eau glacée.

Chemin parfait
Chemin parfait

Les participants s’égrainent dans la première ascension. Au début, nous nous arrêtons pour attendre les retardataires, puis ça ne fait plus sens. Chacun poursuit à son rythme. Au profit d’une descente joueuse sous un tunnel d’arbres, je me dis « Pas trop gravel ce passage. » Je me porte bien avec mes pneus VTT. J’ai le vélo idéal pour ce parcours où je ne voudrais être avec mon gravel pour rien au monde, même si je vois que les jeunes voltigent avec les leurs, ce qui dit la relativité de qui est gravel ou ne l’est pas.

Quand nous retrouvons le dur, le peloton a explosé et des groupes se constituent. Nous nous retrouvons à trois au sommet, après déjà plus de 1 200 mètres d’escalade, avant de quitter la forêt et de suivre un sentier à travers la piste d’une improbable station de ski de basse altitude. Au-dessous de nous, un restaurant avec un parking bondé de carrosseries luisantes.

Il est midi passé. Avec mes compères, Olivier Brunaud, guide vélo dans le coin du Ventoux, et le grand Edouard Paux, on se dégotte la dernière table libre au Relais des lacs. Sans grande amabilité, à prendre ou à déguerpir, on nous impose un menu, avec aligot à volonté. Le service n’en finit pas. On voit d’autres cyclistes passer sans s’arrêter, d’autres négocier des sandwiches. Sébastien Cubat et Y nous rejoignent. Quand nous ressortons une heure plus tard des bikepackers arrivent encore. Je retrouve Vincent Vrgs, le papa du groupe Bikepacking France, rouge tomate, dans un apparent état second. Il a pris un sacré coup de chaud dans la montée.

— T’as rien oublié ? me dit Edouard.

Il me tend ma carte de crédit qu’il a trouvée par terre. J’ai vraiment la tête ailleurs.

Je repars avec Olivier. On s’est trouvé sur le même rythme, peut-être parce qu’Olivier tire trop gros et qu’il a dû mettre pied à terre dans les forts pourcentages, et du coup je l’ai souvent imité pour ménager mes forces. On n’est pas là pour le chrono. On déboule dans la lumière aveuglante, les champs jaunes, les roches grises. C’est sublime. Un peu de portage, un régal dans les descentes, puis un passage enchanteur au milieu des fleurs.

Juste bô
Juste bô

Beaucoup de caillasse, ça secoue parfois, mais ça passe toujours même si nous nous disons qu’avec nos VTT tout suspendus nous prendrions plus de plaisir tout en allant plus vite et en nous fatigant moins. Nous essayons de ne pas penser à la chaleur, mais nous fumons : 38°C au compteur. Nous nous aspergeons aux fontaines pour sécher tout aussi vite. Quand au détour d’un virage, au départ d’un sentier de randonnée, nous tombons sur une buvette nous nous y précipitons. Il est déjà 15 h et la route est encore longue. Olivier se plaint des genoux. Le VTT de descente qu’il pratique presque tous les jours à longueur d’année lui a fracassé les cartilages. Il doit se ménager, le boulot reprend la semaine prochaine, et le Ventoux c’est pas de la rigolade.

Un peu de roulant
Un peu de roulant

Nous suivons un sentier où nous ne cessons de croiser des randonneurs. Ils font Compostelle. Certains sont chargés comme des dromadaires.

— Vous n’êtes pas en ultraléger, je lance à un couple.

Le concept du thru-hiking n’est pas arrivé à leurs oreilles. Nous roulons, suons, parlons. Il faut le vélo, la souffrance et le voyage pour vous amener aussi vite à un tel niveau de camaraderie.

Un peu de fraîcheur
Un peu de fraîcheur

Dans une descente, je lâche ma monture, distance Olivier et remonte dans un hameau où trône une fontaine avec un panneau Eau non testée.

— Vous avez soif ? me lance une femme par la fenêtre de sa cuisine. Vous voulez de l’eau ?

J’approuve.

— Vous pouvez boire à la fontaine. Elle est fraîche et je nettoie avec mes salades.

Voilà qu’elle me raconte sa vie, m’explique qu’elle vient de quitter Paris et d’aménager dans cette maison qui appartenait à ses grands-parents. Son mari sort, il me montre son vélo de course. Nous discutons braquets. Olivier arrive, puis Edouard qui nous rattrape.

J’ai droit à une visite de l’ancien four, puis la néorurale me montre le capot de sa voiture mitraillé il y a quelques jours par la grêle. Ce couple respire la santé. Un autre villageois nous rejoint. Un instant, je me dis que je pourrais dormir là. Vivre la rencontre jusqu’au bout.

Olivier décide de couper par la route, alors qu’il nous reste 30 km de piste et qu’il est déjà plus de 18 h 30. Edouard, lui, me dépose dans la première côte. Et ça grimpe, et ça tourne. En même temps qu’approche l’heure dorée, les paysages deviennent plus bucoliques, les chemins plus roulants, et la journée s’achève par une belle descente sur Saint-Chély-d’Apcher, troisième ville de Lozère par sa taille avec ses quatre mille habitants.

Mon éditeur Pierre Fourniaud m’a dit que je devais absolument rencontrer Pascal Aurejac, l’extraordinaire patron de la librairie le Rouge et le Noir, mais j’arrive en ville à près de 20 h 30. Je suis affamé. Un passant m’envoie à la piscine où il y a une pizzeria et où je retrouve d’autres bikepackers. J’attends trente minutes avant de manger, puis je file au camping. Je me couche rincé et l’enfer commence.

Bucolique
Bucolique

Samedi 1er août

Le camping est coincé dans un triangle entre la route de Paris et l’A75. J’ai l’impression de dormir sous un pont et que des camions me foncent dessus. Le vacarme est incessant. Ça me déprime. Comment on peut accepter ça ? Comment je fais pour supporter de prendre ces autoroutes, d’y ajouter mon bruit, et si ce n’est pas moi directement les camions qui transportent mon nécessaire vital ? Je repense à mon livre, au covid, aux leçons pour l’avenir.

D’habitude, je dors bien quand je voyage à vélo, là les pensées me rattrapent. Je ne suis pas vaillant quand je rejoins les copains pour le petit déjeuner. Personne n’a bien dormi. Ceux qui avaient choisi l’hôtel ont été dérangés par une fête foraine, ceux qui avaient choisi le camping sauvage sur le bout de pelouse derrière la piscine ont été rejoints par une bande de fêtards.

Nous sommes une vingtaine de rescapés à enfourcher nos montures. Il devrait faire moins chaud, il y aura moins d’ascensions. Le début du parcours est enchanteur. Une côte sableuse sous les sapins fait la sélection. Je me retrouve seul. Olivier ne veut pas se blesser, d’autres vont trop vite pour moi, d’autres pas assez vite, d’autres prennent des raccourcis. Lors des épreuves de bikepacking, la mayonnaise sociale nécessite des forces plus ou moins égales, ainsi qu’une conception du vélo partagée. Ça fait beaucoup, même si nous partageons déjà beaucoup en partant ensemble pour la deuxième journée.

Je souffre pas encore
Je souffre pas encore

Je m’arrête dans le village de Rieutort-de-Randon pour acheter de quoi manger et aussi refaire le plein de crème solaire. Je retrouve les costauds au moment où déjà ils repartent. Je bois un Coca cul sel, puis un Perrier. Armé d’un sandwich et d’un litre et demi d’eau, je m’attaque à la difficulté du jour, le truc de Fortunio, un sommet à 1 550 mètres, point culminant de la Margeride, chapeauté par une immense antenne. Il est 11 h, pas un souffle de vent, un soleil de plomb. Je me blottis dans l’ombre pour boire, puis repars dans des pourcentages de plus en plus sérieux. Personne devant, personne derrière. Je suis obligé d’arrêter de pédaler pour me refroidir. J’aurais les jambes pour aller plus vite mais je sens que mon corps encaisserait mal l’effort. Alors je pédale, pousse, m’arrête à l’ombre.

ça monte, ça chauffe
ça monte, ça chauffe

Bientôt Olivier Loevenbruck que je connais de Montpellier me double avec un grand Écossais pour compagnon. Ils me laissent sur place. Je ne cherche même pas à les suivre. Je continue. Seul. Une fois dans la forêt, je perds de vue le sommet et je roule, pousse, esquive les branches. Je ne pense qu’à l’interminable descente que Romain nous a vendue jusqu’à l’arrivée.

En effet, ça descend, mais ça monte aussi, forêt, belles pistes, puis après une brève portion asphaltée qui fait du bien aux jambes, je déboule dans une vallée verdoyante, un paysage idyllique de carte postale, avec la sensation de l’avoir mérité, puis je rejoins une nouvelle piste qui révèle bientôt un vaste lac, d’un bleu froid, bordé de fleurs violettes. Je prends conscience que j’ai effectué une boucle et l’antenne est maintenant en face de moi, au nord. Peu avant 15 h, je m’arrête en surplomb de la berge pour grignoter mon sandwich. L’endroit est parfait, si parfait qu’un couple l’a choisi pour s’ébattre.

Ça roule
Ça roule

Me voilà reparti. Je n’ai presque plus d’eau, mais je suis à quelques kilomètres d’un restaurant. Quand j’arrive, il est à vendre, fermé, fini, pas d’eau. Je continue avec moins d’un demi-bidon, et pas de point d’eau avant 25 km. Dans mon dos, vers l’antenne, le ciel se couvre, des bourrasques me prennent de côté, l’orage menace, il recouvre une ligne d’éoliennes au pied desquelles je suis passé. Je continue. Une côte a raison de ma dernière goutte d’eau, mais la piste file tout droit, en légère descente et j’ai encore de l’énergie pour appuyer sur les pédales. J’ai soif, je ne pense qu’à boire, mais je prends un grand plaisir sur ce chemin, avec l’orage à mes fesses.

Mesa
Mesa

J’atteins enfin un hameau où se trouve un point d’eau. Un tuyau d’arrosage d’un vert lézard. Je m’asperge des pieds à la tête, commence à boire.

— Mais arrêtez, cette eau est non potable, me dit une femme coquette qui sort de chez elle. Vous buvez l’eau d’une citerne. Vous avez soif ?

— Je meurs de soif.

Je lui tends mon bidon, elle me le remplit, elle me parle des jeunes bikepackers qui m’ont précédé, je lui dis qu’elle a de la chance de vivre au calme avec une pensée pour l’A75.

— Si les chiens de mon frère aboyaient moins, ce serait parfait.

— Votre eau est délicieuse.

— Vous avez de la chance, je partais travailler.

Je ne sais pas pourquoi je pense qu’elle est médecin. Elle me remplit une seconde fois mon bidon et me voilà reparti. Je tourne en rond dans le hameau, retrouve la trace, la perds de nouveau, vais trop bas, dois remonter, puis en haut d’un raidillon, impossible de virer à droite comme indiqué, une seule solution, un sentier, bientôt aménagé en piste de descente. Sans selle télescopique, ça fiche un peu le vertige. Je me laisse glisser jusqu’à une piste qui me ramène sur la trace et au village de Chanac, fin de la deuxième étape. Il est 17 h 30.

Après un arrêt à la brasserie locale, où je ne bois que de l’eau comme à mon habitude, je gagne le camping, monte ma tente, prends même une douche, puis farniente jusqu’à ce que nous nous retrouvions tous pour manger un succulent Fricandeau préparé par Stéphanie, la femme de Romain, et servi par ses filles, Olympe et Savannah. Merci pour votre générosité à toutes les trois.

— Pas de mecs pour faire le service ! doivent s’énerver les féministes.

Nous parlons de l’étape du lendemain, supposée aussi dure que la première. Mais un biais psychologique m’empêche de l’envisager. Si Olivier avait poursuivi avec moi, si nous avions tricoté ensemble une histoire, j’aurais poursuivi, le vélo étant une activité sociale pour moi, mais envisager la souffrance en solitaire n’est pas trop à mon goût. Pour couronner le tout, je me sens ma voiture à proximité et la trace tournicote autour comme pour me narguer. Je décide ne faire qu’une brève sortie avant de rentrer à la maison, et me remettre au travail. Après tout, l’Aubrac c’est la porte à côté et je peux y revenir pédaler quand je veux maintenant que Romain m’en a fait découvrir les merveilleux chemins.

Jour 2
Jour 2

Dimanche 2 août

Nuit paisible, réparatrice, nous sommes peu nombreux à donner nos premiers coups de pédales au petit matin, alors qu’il fait gris et que nous avons perdu une dizaine de degrés par rapport à la veille. Les uns et les autres ont choisi d’interpréter la trace plus que de la suivre scrupuleusement. C’est cela aussi le bikepacking. Faire selon ses envies, sa forme, et le parcours imaginé par Romain autorise ce jeu.

Dernier effort
Dernier effort

J’accompagne un moment Jacques Cartron, nous poussons dans les cailloux, soufflant comme des diables dans une montée rouge sang que Romain nous assure de ne jamais avoir gravie jusqu’en haut sans mettre pied à terre. Je ne sais même pas si j’en serais capable avec un VTT électrique. Jacques emprunte un raccourci, on hésite à un croisement, puis je prends conscience qu’il m’a amené trop loin. Alors on se quitte, je lui promets de déposer le bidon sauveur à l’hôtel du Commerce à La Canourgue, et nous nous séparons alors que le crachin jette un coup de froid.

Je déboule sur la ville, retrouve ma voiture, achète deux magnifiques fouaces toutes chaudes et me voilà sur le chemin du retour, fatigué mais heureux de ce périple. Je n’en finirais jamais de m’étonner : le bikepacking distend le temps, il a transformé ces trois journées en une aventure, avec tous les souvenirs qui vont avec, les joies comme les souffrances, les rigolades et les émerveillements. Ces émotions n’ont été possibles que parce que derrière il y avait la trace de Romain, une œuvre d’art, imaginée pour nous amenée très haut dans les champs de la perception. Merci l’artiste.

Jour 3
Jour 3