Tous les vélos ne sont pas des gravel
Tous les vélos ne sont pas des gravel

J’ai titré mon précédent billet Le gravel est une mode : la preuve pour provoquer des réactions. Je n’ai pas été déçu. Le gravel passionne, il n’y a aucun doute.

Ceux qui ont lu mon article et ne se sont pas arrêtés à son titre auront compris que je ne prophétisais pas la fin du gravel. Qu’un phénomène commence par une mode n’implique d’ailleurs pas qu’il dépérisse aussi vite qu’il est apparu. Facebook a été une mode en 2007, aujourd’hui le service est un moyen de réseauter pour deux milliards de Terriens, mais il n’est plus du tout à la mode.

Que le gravel soit aujourd’hui à la mode, il est difficile de le nier. Le cycle de vie des produits se déroule presque toujours en quatre étapes : l’underground avec les early adopters, la mode qui s’accompagne d’un buzz important et de l’arrivée de beaucoup de nouveaux usagers, la maturité qui correspond à l’adoption maximale, avant qu’à plus ou moins longue échéance s’engage la récession qui peut précéder la disparition ou le retour à l’underground (phase où est retourné le vinyle par exemple).

« Gravel » est un terme nouveau pour désigner un phénomène ancien en cyclisme. Lors de l’apparition du vélo, l’asphalte n’existait pas, tous les vélos étaient donc des gravel. Les premiers Tours de France étaient des tours gravel. Quand j’étais gamin, j’ai amené mon demi-course en ferraille sur tous les terrains. J’ai fait longtemps du gravel sans le savoir. Mon premier VTT, lui aussi en ferraille et que j’utilise encore pour me balader dans mon village, ressemble à s’y méprendre à certains gravel d’aujourd’hui.

Reste que quelque chose change. Presque toutes les semaines, les constructeurs commercialisent de nouveaux gravel en même temps que nous sommes de plus en plus nombreux à nous éclater entre asphalte et terre, étendant le champ de possibilité du vélo de route, donc éprouvant une liberté nouvelle, qui n’est pas loin d’être grisante, ce qui à mon sens explique pourquoi le gravel passionne : il nous procure un nouveau sentiment d’existence, parfois si puissant qu’il prive certains graveleux de bon sens, et aussi d’empathie.

Un gravel est par nature un vélo polyvalent, ce qui implique des pratiques variées, si variées qu’il existe une vaste panoplie de gravel, certains proches des vélos de route, d’autres des VTT.

Dans le débat suite à mon article, de nombreux lecteurs se sont moqués de tel ou tel point, démontrant finalement une grande incompréhension d’un phénomène multidimensionnel. Il n’existe pas une seule façon de faire du gravel, pas plus qu’un seul type de gravel.

Exemple. Un tel s’est moqué de mon affirmation selon laquelle un gravel devait pouvoir chausser de gros pneus. J’ai bien écrit « pouvoir », car qui peut le plus peut le moins. Ce pourrait être un slogan pour une gamme de gravel.

Pourquoi des pneus supérieurs à 38 mm sur un gravel ?

  • Plus de confort, car alors on peut rouler à plus basse pression.
  • Indispensable en bikepacking sur terrain accidenté, pour encaisser la surcharge et encore une fois maximiser le confort sur les très longues distances.
  • Davantage de grip dans les passages techniques, notamment dans les terrains souples (sable, boue…).
  • Une façon de pousser le gravel un peu plus prêt du VTT, donc d’étendre son domaine de possibilité.

Qui se fiche de ces points peut bien sûr rouler avec des pneus plus fins. Il fera encore du gravel, c’est en soi assez génial. Chacun a une vision idéale du gravel. Moi, j’aime celle de Sarah Swallow et son Diverge avec des roues de 27,5 pouces et des pneus de 47 mm (de nombreuses études montrent que sur terre, des pneus larges ne sont pas pénalisants, même au contraire, ce qui peut être contre-intuitif).

Arrive cette histoire de vitesse, et d’autres moqueries. Certains feraient du gravel pour aller vite sur les chemins, et pour eux tout ce qui irait contre la vitesse, comme les gros pneus, ne seraient pas gravel. Ils se fourvoient. Un gravel, c’est pour aller vite sur asphalte et sur terre, pour aller au plus vite sur chacune de ces deux surfaces en même temps, pas sur l’un et l’autre séparément.

Je roule en gravel sur terre depuis près d’un an en Floride et je vous garantis que les gravel n’y sont pas les plus rapides. Toujours se détachent des gravel et des VTT XC semi-rigides 29 pouces, et les gars les plus costauds ne roulent pas en gravel auxquels ils mènent la vie dure. Par principe, le gravel n’est pas un vélo spécialisé. On l’aime pour sa polyvalence. Un gravel n’est pas fou fou sur terre. Il est fou fou quand on saute de l’asphalte à la terre et revient sur l’asphalte. Là, oui, c’est l’éclate totale (je fais abstraction du cycliste masochiste qui choisit le gravel parce que c’est plus difficile sur passages techniques que le VTT).

Le succès du gravel s’explique par notre besoin de nature grandissant, notre besoin de nous échapper de la civilisation, ce qui parfois exige d’emprunter des routes assez longues avant de plonger dans une forêt. Le gravel est adapté à nos désirs d’aventure, comme si nous sentions que vivre puissamment impliquait de quitter les infrastructures policées, bétonnées, goudronnées. Le gravel répond à notre besoin de verdure, de nuages, de rivières à franchir et de plages à longer.

Le succès du gravel n’est pas prêt de se démentir tant que nos sociétés seront surindustrialisées, stressantes, bruyantes, polluées. Le gravel est un vélo pour s’échapper, pour de la ville se retrouver seul ou presque loin de tout, même quand on ne vit pas tout à côté d’un massif forestier. Le gravel est passionnant, car il ouvre des portes qui étaient fermées, il ouvre même des portes à des VTT gravelisés, les VTT que nous utilisons en bikepacking. La tendance forte me paraît dans la réappropriation de terrains de jeu délaissés depuis trop longtemps. J’espère que la polyvalence du gravel nous rendra plus ouverts, peut-être en interconnectant toutes les familles de cyclistes en une seule. Une chose me paraît sûre : personne n’a le droit de déclarer ce qu’est le gravel, il est trop vaste pour être réduit à une définition étriquée et discriminatoire.

PS : Exemple de discrimination. Je ne les compte pas, il y a ceux qui critiquent ma potence relevée (photographie en une de l’article). Montée pour tester, je jour où j’ai eu le malheur de prendre cette photo. Qu’est-ce que ça peut leur faire que ma potence soit relevée ? Selon eux ça ne serait pas gravel. Mais c’est quoi être gravel ? Si cette potence soulage mon épaule gauche, en quoi ça les dérange ? Franchement, j’ai même fait des chemins techniques avec cette potence et je passe partout. J’ai d’autres tests à effectuer avant de trouver le réglage idéal, mais le résultat sera valable pour moi et je ne l’imposerai à personne.