Je viens de passer deux semaines sans écrire, une plongée dans les paperasses, une autre à la montagne avec les enfants, et me voilà à Nancy, dans cette ville de ma belle famille, une ville où je ne fais que passer, et où même si je m’y attarde, c’est pour ne pas la vivre.

Je n’y suis jamais en mode déambulation, en mode percolation, j’y suis sans y être. Je longe la cathédrale, traverse la place Stan, marche jusqu’à la Pépinière et reviens m’installer au café Foy, mais sans envie, souvent si loin de mon être habituel que je tombe malade, attrape la première grippe qui court, portée par un froid étranger à mon Midi.

La place, son ventre gelé, son arbre de Noël désaxé, les dorures des grilles, les façades classiques, à la pierre jaunie… je pense aux citadins, au fait de traverser leur monde. J’ai beau avoir vécu des années à Montpellier, Paris et Londres, je ne suis pas de cette géométrie. La ville me sidère. J’y suis comme dans un musée, ou dans un jeu, jamais avec la certitude d’être dans le réel. La mise en scène se prolonge dans le café, les mains recroquevillées sur les tasses de thé ou de chocolat. Chacun si fidèle à son script que l’envie d’aller au théâtre ne m’effleure pas.

J’aime la ville comme j’aime une œuvre d’art sublime dont la trop longue fréquentation nuirait à mon imaginaire. J’ai vite besoin de me retrouver dans un univers moins esthétique, plus désordonnée, avec l’illusion que tout reste à faire, sans que je doive me glisser entre des beautés innombrables et déjà codifiées.

Je suis venu au café ce soir dans l’idée de penser à mon prochain texte, un roman en quelque sorte, sur la minute qui a changé l’histoire de l’humanité. Je lis des textes d’astronomie, de roman de SF, je m’y sens bien, loin du politique et de l’art pour l’art. Je redeviens un habitant du temps long. De ces cinq milliards d’années du système solaire, avec cette cascade de coïncidences qui mènent à nous. Une Jupiter pour minimiser les impacts météoritiques tout en ayant au préalable précipité vers nous des pluies torrentielles. Une Lune pour stabiliser l’axe de rotation de la Terre. Une indispensable tectonique des plaques entretenue par la Lune et huilée par les océans. Et la vie, qui chaque fois manque s’éteindre, et chaque fois se réinvente.

J’ai mon histoire, j’ai mon sujet, du moins assez pour commencer. J’ai une partie de la forme : raconter encore et encore la même minute vue chaque fois par des personnages différents. Voilà posées les principales variables de l’équation. Reste à définir l’intimité littéraire, le ton à donner à chaque minute, avec la volonté d’être dans un pseudo temps réel, notamment dans les dialogues.

J’écarte a priori le récit à la première personne, sinon comment faire comprendre en quelques lignes de monologue dans quel personnage je suis. Roland C. Wagner s’est amusé à cet exercice avec Rêves de Gloire, mais en reprenant les personnages, en nous les faisant découvrir et reconnaître peu à peu. Les miens passeront pour ne pas revenir, sauf Sara Cash, mon héroïne mystérieuse, dont les autres parleront sans qu’elle soit elle-même le sujet d’une de mes minutes. On la découvrira par ce que les autres diront ou penseront d’elle.

Reste à m’essayer à quelques minutes. C’est le plus difficile. Trouver la mécanique littéraire. Ce serait si simple si j’avais mes habitudes, mais j’en change chaque fois, parce que sinon l’écriture serait un business et cette nécessité ne me préoccupe pas. Alors je ne sais pas.

J’écrirai sans doute au présent, parce que j’aime sa musique et comment faire autrement que plonger dans le temps même de la minute au moment où elle se vit par chacun. Le présent, oui, mais où placer la caméra ? Sur les épaules des personnages, loin au-dessus d’eux, dans leurs yeux, ou ceux d’un observateur tout puissant ?

Je n’ai rien décidé. De ce choix découlera toute la suite. Je veux tout m’autoriser. Les escapades métaphysiques, les émotions, les paroles… Il faut partir dans quelque chose qui ne me limitera en rien.

J’aime parler de ces choses, et non seulement les retourner pour moi-même, parce que l’écriture d’une certaine façon a déjà commencé. Son à-côté est peut-être plus important que ce qu’elle deviendra. Il est son code, au sens informatique, son ADN en gestation et dont je tente d’élaborer les premières mutations. Peut-être pour en fixer une avec plus de certitude.

J’ai l’ambition de commencer la publication le premier janvier. Si c’est quelques jours plus tard, ce sera sans importance. Après, le défi sera de tenir jour après jour, stimulé par la contrainte et la peur de manquer d’inspiration.

Je viens de relire ces quelques lignes. J’aime le « je » et j’aime les personnages. J’aimerais réussir à les mêler, à tracer une double musique entre des vies et une vie supérieure qui les englobe toutes… comme le point de vue de Sara Cash sur ces gens ?

Nancy, place Stan.
Nancy, place Stan.