L’écriture manuscrite est-elle une chose ancienne ? interroge Hubert Guillaud. Est-ce qu’on écrit plus vite au clavier ?

Je me suis souvent posé la question. Je n’ai aucune réponse définitive quand à ce qui se passera à l’avenir. On peut imaginer des logiciels qui interpréteront des micro-gestes et nous permettrons de saisir le texte à la vitesse de la pensée. Où tout simplement des dictées vocale, ou juste quasi télépathiques. Parlerons-nous encore d’écriture ? Une certitude nous devrions disposer de plus en plus d’interfaces pour transcoder nos pensées en textes.

Je peux en revanche évoquer mon parcours. Je ne suis pas un natif du numérique mais presque. Je me suis débrouillé pour avoir toujours des engins électroniques puis programmables pas loin de la main depuis que j’ai 11 ans. Je n’ai commencé à écrire que bien plus tard, à 19 ans des scénarios de jeu de rôle.

J’écrivais alors sur papier, je réfléchissais sur papier, je ne saisissais que la version finale au clavier. À cette époque, j’étais capable de programmer devant un écran, mais pas capable d’écrire devant un écran. J’avais l’impression que je pensais trop vite pour les touches et que seule l’écriture manuscrite pouvait suivre ce que j’avais à dire.

Quand j’ai commencé à travailler en 1988 dans l’industrie, j’ai toujours écrit les rapports au clavier. Mais dès que je travaillais à des textes littéraires (j’avais un peu divergé du jeu de rôle), je revenais au manuscrit. Toujours persuadé que je pensais trop vite. Puis en 1991, je suis devenu journaliste. J’ai aussi écrit au clavier. Mais en continuant le manuscrit pour le creative writing.

Je me suis même acheté un Montblanc. C’était un acte militant. Quelques années plus tard, je l’ai oublié dans un avion en arrivant aux USA. Je ne l’ai pas racheté car, à cette époque, je remplissais sans fin des carnets avec des illustrations, parfois à l’aquarelle. L’encre Montblanc ne tenait pas l’eau. Je suis passé à des pointes modernes, pas chères, plus rapides, plus souples… la technologie était en train de me rattraper.

À partir de 1992, j’ai toujours eu avec moi un PC portable avec le mail et très vite le Net. Peu à peu, j’ai écrit de plus en plus au clavier, de moins en moins sur papier, sauf sur les carnets pour prendre des notes à la volée. Ce n’est qu’autour de 2001-2002 quand je vivais à Londres que j’ai définitivement abandonné le papier à la maison. La transformation a été progressive. Terminé les grands cahiers. Maintenant, j’ai l’impression de penser plus vite au clavier qu’en manuscrit.

De cette histoire, je tire une conclusion peut-être hâtive : quand on écrit, notre pensée finit par se mettre en phase avec notre interface d’écriture. Aujourd’hui je pense à la vitesse de mon écriture au clavier parce que 99% de ma production écrite s’effectue ainsi. J’ai connu une autre période dans ma vie. Aurais-je un jour l’occasion d’en connaître une troisième ?

Malgré tout, j’ai toujours avec moi un carnet. J’y note beaucoup moins souvent des impressions car je me sens capable de m’en souvenir (ce qui est faux). Et quand je les écris, mon écriture manuscrite est si pénible, si physiquement douloureuse que j’ai de plus en plus de mal à me relire.

Alors je ne comprends pas pourquoi à la maternelle on apprend à mon fils ainé à écrire avec des lettres liées. Des lettres liées ! Je suis bien incapable d’écrire comme ça. Moi, j’apprends le clavier à mon fils. Il n’a pas le choix d’ailleurs s’il veut se loguer sur la machine commune (et j’ai pris l’habitude de changer le mot de passe juste pour lui compliquer la tâche).

Reste toutefois qu’il y a des choses que je ne peux transcrire assez vite au clavier. Lorsque je dispose des mots dans l’espace. Schématise. Dessine. L’ordinateur n’est pas encore pour moi l’interface universelle d’output. Trop lent. Et puis impraticable quand je me promène en garrigue ou en montagne. L’écriture n’est pas toujours linéaire et les traitements de texte ont été imaginés pour l’écriture linéaire. Idéalement, j’aurais besoin d’un terminal d’écriture spatiale.