Avant de signer un contact avec un éditeur, il faut lui vendre le projet. J’ai souvent évoqué ici mon histoire de croisades mais je voudrais tout reprendre pour clarifier mes idées. Croisades sera un documentaire. Vous me direz si ça vous intéresse.

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La lutte des hommes libres contre tous les intégrismes : religieux, économiques, politiques, artistiques…

Les hommes libres au cours de l’histoire

Bouddha, Ératosthène, Jésus-Christ, Cicéron, Goethe, Tolstoï, Geronimo, Gandhi, Einstein… Ils ont en commun d’avoir rejeté les carcans de leur époque, de s’être extrait des écoles, des partis et des églises. Un homme est libre quand il s’invente sa propre philosophie qui ne vaut que pour lui. En refusant de s’enfermer dans un clan, il dépasse tous les clivages.

Un homme est libre quand il choisit la responsabilité. Il assume ce qui lui déplait dans le monde et n’a pas d’autre choix que se révolter. Son slogan pourrait être la célèbre phrase de Gandi : « Soyez le changement que vous voulez voir en ce monde. »

Ainsi, la liberté commence par le choix de la responsabilité. La responsabilité pour soi exige la responsabilité pour les autres. Un homme libre ne donne pas d’ordre, il ne peut que donner l’exemple. Pour un homme libre, il n’y a pas de hiérarchie.

Leur héritage souvent perverti

Après leur mort, quelques hommes libres ont donné naissance à de nouveaux dogmes qu’ils auraient eux-mêmes reniés. Leurs héritiers figent leur philosophie. Ils l’inscrivent dans le marbre, s’attachant à des règles pensées en d’autres temps pour des hommes de carrures différentes.

Leurs combats du passé

L’abolition de l’esclavage, l’égalité des sexes, la démocratie, la liberté de culte, le droit du travail, la reconnaissance des dérèglements climatiques… derrière chacune de ses avancées, toujours imparfaite, il y a des hommes libres. L’histoire se souvient parfois de quelques héros qui auraient à eux seuls fait triompher ces causes. En fait, des milliers d’hommes libres anonymes se trouvèrent engagés dans chacune de ces luttes. Ils propagèrent les idées nouvelles, ils refusèrent la tradition pour affirmer qu’il était possible de vivre autrement. Chacun joua un rôle historique même si l’histoire oublia la plupart d’entre eux.

De l’isolement à la mise en réseau

Un homme libre est seul. En refusant les clans, il devient un paria. Pour ses contemporains, il est souvent lunatique ou utopiste. Le mythe dionysiaque illustre sa quête : le dieu fou est partout chez lui, partout étranger. C’est un vagabond.

Parfois un homme libre peut apparaître au grand jour, c’est alors pour être utilisé par le pouvoir séculaire. L’art est souvent pour lui la meilleure façon de se faire connaître sans renoncer à son idéal.

Mais depuis la fin du vingtième siècle quelque chose change. Avec l’apparition des réseaux numériques, les hommes libres démultiplient leurs interactions et leur vitesse de réaction. Pour la première fois, ils peuvent se reconnaître, travailler ensemble à vaste échelle. Au gré de leurs errances virtuelles, ils se rencontrent puis se retrouvent sur le terrain.

Qu’on les appelle hackers ou freemen, cyberlibertaires ou cosmists, ils étendent leur influence dans toutes les strates de la société. Ils sont entrés en résistance et se battront jusqu’au bout pour démontrer que d’autres mondes sont possibles. Une guerre silencieuse a commencé car, en même temps qu’ils se reconnaissent, leurs adversaires prennent conscience qu’ils ne peuvent plus les utiliser.

Leurs combats contemporains

Refus de l’hypercapitalisme, respect de la biosphère, affirmation de l’interdépendance, du droit à disposer de soi… Les hommes libres se battent avec plus de rage que jamais. En même temps, leurs ennemis resserrent leurs rangs.

Les intégristes chrétiens comme musulmans voient dans les désordres croissants du monde le signe de la prochaine fin des temps et le retour des prophètes. Pour eux, les écologistes n’ont d’autre but que de retarder l’Armageddon.

Les puissances pétrochimiques, souvent très proches des intégristes religieux, combattent elles-aussi les progressistes qui militent pour les énergies alternatives. Elles persuadent la plupart des gens qu’il n’y a aucune autre solution que celles déjà mises en œuvre, niant par la même l’évolution.

Les apôtres du libéralisme économique prônent le laissez-faire, toujours plus efficace économiquement pour qu’une minorité devienne de plus en plus puissante. Sous couvert de liberté, ils imposent un dogme terriblement contraignant : la rentabilité à tout prix, oubliant de prendre en compte les coûts annexes, notamment ceux qui engagent les générations à venir.

Au nom de l’éthique, d’un respect d’une hypothétique nature humaine, certains soi-disant sages cherchent à interdire l’étude des cellules souches et d’autres innovations génétiques. Ils refusent que l’homme évolue pour affronter les changements qu’il a lui même induits en partie.

Schématiquement, on pourrait mettre d’un côté les conservateurs, d’un autre les progressistes. Ce n’est pas aussi simple. De nombreux d’industriels militent pour le progrès technologique, ils sont donc progressistes. Leur opposants défendent parfois la décroissance, ils sont donc conservateurs.

Il est impossible de parler de camps clairement dessinés, ce qui ne peut pas être le cas pour les hommes libres de toute façon. Leurs combats sont divers, souvent connectés, parfois en phase, mais toujours indépendants. Pour les décrire, il n’y a aucune autre méthode que de les raconter. Et de laisser émerger une histoire plus générale.

100 histoires

J’avais commencé par écrire Croisades sous la forme d’un roman, imaginant une lutte fictive particulière pour toutes les illustrer. Quelques auteurs, notamment Ayerdhal avec Demain une Oasis et L’homme aux semelles de plomb, ont déjà emprunté ce chemin. Je crois que ce n’est pas le mien.

Je suis toujours persuadé qu’il faut pour traiter du sujet raconter des histoires. Mais pas une histoire. Il faut proposer des échantillons de réalité, laisser le lecteur édifier son propre portrait des hommes libres et de leur lutte.

C’est par ailleurs la meilleure méthode pour que chacun de nous puisse identifier en lui sa part d’homme libre… et qu’il juge de sa propre responsabilité.

Je me donne pour objectif de raconter 100 histoires d’hommes libres aujourd’hui, 100 petites croisades ou plutôt 100 anti-croisades. Ces histoires seront réelles. Je ne veux rien inventer. Juste tracer des connexions entre-elles en me plaçant comme enquêteur, interviewer, reporter au sein de ces histoires. Je veux donner la parole à ceux qui se battent. Croisades sera un documentaire où je servirai de fil rouge.

Émergence

Chacune de ces histoires sera comme un bit d’information musicale stocké sur un CD. Un bit en lui-même n’a aucun sens, aucune signification. Mais les bits joués les uns à la suite des autres réinventent la mélodie originale.

Ainsi, à mon sens, chacune des notes émises par les hommes libres contribue à l’émergence d’une conscience collective. C’est un évènement historique d’une grande ampleur, peut-être aussi capital que l’émergence des premières formes de conscience individuelle.

Notes

  1. Je veux adopter la méthode de John Krakauer dans ses reportages ou de Gabriel Garcia Marquez dans Journal d’un enlèvement. L’objectivité étant impossible, l’auteur se glisse dans l’histoire. Quand il va interviewer quelqu’un, il se raconte aussi. J’ai d’ailleurs déjà écrit de cette façon bien des passages du Peuple des connecteurs et du Cinquième pouvoir.
  2. Les hommes libres ne sont pas simplement des résistants. Ils proposent aussi d’autres modes de vie, d’autres façons d’être heureux. Nombre d’entre eux sont des technophiles, l’avenir passe par le progrès. Cette position les oppose aux contestataires des années 1960.
  3. Les hommes libres vivent déjà comme ils le prônent, chacun à leur façon. Il s’agit, peut-être avant tout, d’être heureux immédiatement, sans renoncer à la responsabilité, notamment vis-à-vis des générations à venir.
  4. Je ne veux pas écrire de mini-biographies d’hommes libres mais des histoires qui se répondent et s’interconnectent. Bout à bout, elles formeront une histoire plus grande. Certains personnages se retrouveront dans plusieurs histoires comme dans les films de Robert Altman.
  5. Si ce projet se concrétise, j’aimerais demander à 100 blogueurs et auteurs de chacun écrire une histoire de croisade, de façon à élargir encore le portait des hommes libres. Nous pourrions alors sortir deux livres en même temps, l’un étant une œuvre collective.