Tout en faisant un peu de plomberie HTML, CSS, JS et PHP sur mon blog, et après avoir lu le billet de Ploum où il évoque le Pluralistic de Doctorow, j’ai réfléchi à ma propre pratique du blog, et ses grandes phases pour tenter de me projeter vers le futur proche. 1. Ma ferveur des débuts, avec parfois plusieurs billets par jour et des dizaines de commentaires et d’échanges. 2. Mon burn-out numérique de 2011 et la pause, le temps d’écrire J’ai débranché, je n’ai jamais retrouvé l’enthousiasme initial. 3. Mais je ne suis pas le seul. Gangrénée par les algorithmes de Google, la blogosphère s’est délitée au profit des réseaux sociaux et de YouTube. On est passé des longs articles au microblogging et à la pensée rapide, deux formes qui ne m’ont jamais excité. Tous les blogs ne sont pas morts, mais ils se sont insularisés, voire professionnalisés. Je me suis mis à publier à dose homéopathique, sauf quand je me suis laissé emporter par des projets créatifs comme One Minute ou quelques sujets brûlants. 4. En août 2015, j’ai décidé de me faire discret sur les réseaux sociaux, renonçant quasiment à utiliser Twitter. Plutôt que de déblatérer en ligne, j’ai gardé mes remarques pour mes carnets, que depuis je publie une fois par mois, discrètement et sans tenter de faire de vagues. Dans une société de l’attention, je n’avais plus envie de me battre pour attirer l’attention. J’ai automatisé mes systèmes autopromotionnels et j’ai fini par ne plus consulter aucune statistique d’audience. 5. Cette phase s’est prolongée jusqu’à aujourd’hui, et en même temps que je termine ma plomberie, je me dis que je reste attaché à mon blog. Mais pour quoi en faire ? Pour quoi y faire ?

Maintenant qu’il est archivé en Markdown, je pourrais le fermer et me faire encore plus silencieux, mais je n’ai aucune envie de me taire, je ne sais tout simplement pas comment je dois désormais m’exprimer.

Mon blog est le garant de mon indépendance. J’y aime ma liberté. Je n’ai besoin de personne pour m’autoriser à dire. Et je crois même que ces dernières années, ma volonté de dire au travers de tiers m’a apporté plus de frustrations que de satisfactions. Sur le blog, je suis moi, naturel, brut, un état qui est ma signature. Ailleurs, je perds en franchise, je m’affadis, je m’avachis dans des compromissions sans rapport avec moi. Je ne veux pas plaire, je veux être, ressentir, éprouver, échanger. J’accepte la critique qui me ferait être davantage moi-même et refuserai à jamais celle qui voudra me ramener à une moyenne à laquelle je n’accorde aucune réalité. Je suis un défenseur de la complexité, de la diversité, de la singularité, de l’irréductibilité. Je ne veux plus entendre parler de rayonnage ou de marketing.

Peut-être était-ce une erreur de structurer mon blog autour de grandes thématiques, qui peu à peu se sont imposées à tel point que j’ai perdu l’habitude de les outrepasser. Dans ma plomberie, je viens de clairement mettre de côté les articles sur le vélo et les carnets, part essentielle de mon travail, pour laisser un grand fourre-tout pour le blog, où je ne m’interdirai plus rien, comme ce billet, écrit au fil de pensées accompagnées d’aucune décision, sinon d’envies fugitives.

Ploum raconte que plus son audience a augmenté, plus il a passé de temps à retravailler ses billets, j’ai envie de tout le contraire. Être dans le jet, laisser le repenti pour d’autres formes. Autoriser les articles sans colonne vertébrale, sans début ou fin, sans même de sujet clair. L’époque me fatigue quand elle veut des œuvres transparentes, et elle en promeut de nombreuses, jusqu’à l’écœurement. Je me fiche qu’un certain public ait besoin de se divertir, moi j’ai besoin de me changer la tête non pas momentanément le temps d’une lecture, mais pour des mois, des années, pour toujours.

Le blog est vital pour la liberté d’expression et la liberté créative. Où ailleurs peut-on s’exprimer avec une telle liberté ? Il repose sur une technologie simple, et j’ai tout fait pour tendre vers la simplicité maximale avec mes archives Markdown, échangeables par mail, clé USB ou tout autre support numérique. Comme un livre une fois imprimé, il ne peut être censuré contrairement à toutes les formes hébergées sur des plateformes centralisées.

Le livre est une technologie géniale, aussi. Mais il faut l’imprimer, le manutentionner, le transporter. Ça implique des coûts, donc des contraintes qui viennent parfois contraindre la liberté, au point que les auteurs s’autocensurent souvent. J’ai atteint l’âge où je sais ce qu’il faut écrire pour être publié, et ça ne m’intéresse plus. Je me garde de renoncer à l’édition et aux rencontres avec les libraires et les lecteurs, mais ce sera moi tout entier, à prendre ou à laisser.

Mon indépendance est là, sur le blog, tant qu’il existe et que j’existe. Et parce que là je suis totalement libre, parce que je connais ce goût de la liberté éditoriale absolue, je n’ai plus aucune raison de me plier à des exigences qui ne seraient pas exactement en accord avec les miennes.

Pour tout dire, j’ai aimé écrire ce texte, mettre au clair mes pensées, avec l’idée de les partager. Peut-être n’est-ce rien d’autre le blog, et c’est déjà énorme. Je n’ai pas besoin d’inventer des personnages, ou de me mettre en scène comme un personnage, j’ai juste la possibilité de dire mes pensées les plus anecdotiques, et peut-être les plus humaines.

Je n’ai plus envie d’acheter des fringues. J’use les miennes jusqu’à la corde, quitte à paraître clodo. Je n’ai pas envie de parer mes textes. Leur forme native est le Markdown, publier avec juste une transcription HTML. Je devrais peut-être cesser d’illustrer mes textes, mais non, l’image fait partie de moi. J’ai longtemps dessiné, j’aime photographier, j’aime aussi les images générées par les IA parce qu’elles disent notre époque.

Je ne veux rien m’interdire au nom du minimalisme. J’aime la technologie, je ne vais pas y renoncer, mais je ne veux pas non plus oublier ce que le texte est pour moi, ce texte que j’ai là sous mes yeux sur mon écran, dans mon éditeur où absolument rien d’autre n’apparaît, ni boutons, ni haut de page, ni bas de page, un long ruban qui me paraît une magnifique métaphore de la vie. Cet état brut, encore brûlant du texte, me plaît. Le blog me permet de ne pas laisser la soupe refroidir et de la transmettre sans attente. J’y tiens. Cela est essentiel. Je trouve la lenteur de l’édition classique en totale inadéquation avec l’époque, même si cette lenteur peut permettre de prendre du recul, j’ose espérer.

Quand je regarde le site de Ploum, je me dis qu’il est allé plus loin que moi vers le minimalisme. Nos deux sites sont statiques, nos pages calculées une fois pour toutes, je n’ai concédé qu’à quelques lignes de JS pour afficher le menu et la fenêtre de recherche, de façon que tout cela soit caché le plus souvent. Pour le reste, rien que du texte et des images. Mais mon passé de journaliste et mon goût pour les maquettes donnent à mon minimalisme une forme presque malgré moi esthétique.

Mon blog est en quelque sorte à l’image de ma maison, fait de lignes claires. Il y a peu de meubles, de grandes fenêtres, des matériaux bruts avec tout autour un jardin en désordre. La version de Ploum est plutôt une cabane au Canada, au fin fond d’une forêt obscure, sans eau courante et électricité. Nous exprimons deux formes de minimalismes, qui se rejoignent dans la portabilité.

Je dévie, ça me fait du bien. Partir sans aucune idée d’où aller, puis m’arrêter parce que c’est le moment, là, tout de suite, parce que la certitude s’impose. Et ne surtout pas retarder la publication à demain, sinon je couperais, ajouterais, reprendrais, et ça serait tout autre chose. Le blog nous donne cette liberté de la maladresse, de la spontanéité, de la médiation minimale.