Bloguer n’est pas tenir un journal

Les dédaigneux de la chose Web affirment souvent qu’un blog n’est qu’un journal numérique, qu’il ne serait pas une forme neuve, qu’il n’aurait donc aucun potentiel littéraire et qu’il n’intéresserait que les écrivains ratés.

Vous vous doutez que je pense exactement le contraire. Les écrivains ratés d’aujourd’hui ne bloguent pas. Bloguer n’est certes pas une condition suffisante à la littérarité, mais tout au moins nécessaire.

J’ai tenu un journal de 1980 à 2005. Je l’ai pratiquement interrompu quand je me suis mis à bloguer. De fait, j’ai souvent déclaré que le blog était la continuation de ce journal. Je viens de découvrir qu’il n’en est rien, en préparant l’édition numérique de Turista, une autofiction écrite en 1999.

Turista
Turista

J’étais parti en voyage au Mexique avec une femme que je ne connaissais pas dans le seul but d’écrire le récit de cette passade. Et rien de ce que j’ai écrit, ou presque, je ne l’aurais publié dans mon blog.

Dans mes carnets, je parlais de moi, de mes sentiments, de mon rapport au monde pour le moins alambiqué, je parlais de l’art, de la beauté, du dépassement mystique. J’esquissais des aquarelles. L’introspection côtoyait l’abstraction. L’intime le work in progress philosophique.

Le blog ne m’a jamais poussé dans cette direction. On a dit que le blog était un ouvroir de conversations. Oui. Et la blogosphère amplifie ce phénomène. Elle fait entrer l’écriture dans la 3D. Un journal reste linéaire, et cette linéarité formelle dicte ce qu’on peut écrire ou ne pas écrire.

Il faudrait pousser plus loin cette analyse. Elle crèvera les yeux des généticiens qui étudieront les écrits des diaristes/blogueurs. Par exemple, Seb Musset en France.

Il me semble évident que le blogueur qui se contente de reproduire les entrées de son journal n’est pas un blogueur. Et pire s’il publie des bouts de littératures, faute de trouver des revues ou des éditeurs pour les publier.

La forme, quand elle existe, quand quelque chose la différencie de toutes les autres, imprègnent ce qu’elle véhicule, elle le façonne, l’oriente, le colore. On ne blogue pas impunément. Et ceux qui bloguent sans ressentir l’hubris propre au blog ne sont pas des blogueurs, juste des opportunistes… tout comme ces écrivains adeptes des formes anciennes.