Tuons la presse pour nous libérer

Partout sur le Net et ailleurs, on parle de l’avenir de la presse, de comment créer des nouveaux journaux viables, de nouveaux médias, de comment mieux informer… au nom de l’avenir de la démocratie. Mais nous sommes déjà gavés de news, toutes presque aussi inutiles les unes que les autres. Nous sommes shootés aux nouvelles, nous sommes de pitoyables infovores qui attendent leur prochaine injection avec avidité.

Savez-vous au moins ce qui se passe dans votre cerveau ? Chaque fois qu’une nouvelle bipe dans votre radar sensitif, elle active les zones primitivement destinées à monter la garde. Une news qui s’affiche, c’est comme si un lion vous attaquait. Vous imaginez le résultat. Quoi que vous fassiez, vous arrêtez, vous ne pensez qu’à sauver votre peau.

Un infovore ne peut se concentrer durablement. Il ne peut être créatif. Un journaliste qui ne veut rien rater, qui ne doit rien rater, ne peut être créatif. Pourquoi croyez-vous que la presse soit pour l’essentiel insipide ? Elle est l’œuvre de toxicomanes.

Les entrepreneurs qui ne rêvent que d’empires médiatiques sont aussi effrayants que les narcotrafiquants de Medellin. Ces shootés bon chic bon genre sont incapables d’aligner deux idées novatrices. Ils sombrent dans la démence obsessionnelle. Faire. Faire. Mais pourquoi ? Ils n’ont pas la moindre idée neuve, pas la moindre capacité à la porter longtemps pour construire quelque chose qui changerait nos vies. Ce sont des malades.

Ils ne s’intéressent qu’au pouvoir, ils ne songent qu’à pactiser avec lui, à la recherche de sensations hallucinogènes toujours plus puissantes. Les drogues douces mènent aux drogues dures il paraît, de l’information au pouvoir il n’y a qu’un pas. La surinformation ne peut conduire qu’à la dictature, la surinformation est le nouvel asservissement de l’homme.

Nous avons abattu les églises pour leur substituer un opium plus terrible. Avec son apparence émancipatrice, il semble inoffensif… méfions-nous. La perversion se cache là où on ne l’attend pas. Inquiétons-nous de celui qui parle sans cesse de perversion, qui a un goût excessif pour le morbide et le catastrophisme… n’est-il pas un peu coupable de tout ce qui se passe dans le monde ?

En 2008, les gens consommaient trois fois plus d’informations [entendons machins produits par les médias] qu’en 1960. Ils sont aussi trois fois plus déprimés, trois fois plus inquiets… et trois fois plus pauvres (pour sûr si on mesure la pauvreté comme l’écart entre les pauvres et les riches).

L’inférence est facile, mais elle peut se soutenir. La dépendance aux news prive l’humanité de l’usage de son cerveau supérieur. Une immense capacité créative se voit avalée par les églises médiatiques. Leurs prêches attirent plus de monde qu’aucune messe du dimanche matin… et elles n’ont pas la même vertu sociale. Elles enferment chacun dans sa bulle de terreur, dans ce désir panique d’échapper aux lions qui surgissent sans cesse comme des morts de faims.

Alors quand les potentats ordonnent, les infovores obéissent. Ils n’ont pas le temps de réfléchir. Ils sont pris dans un stress, une overdose d’adrénaline instillée seconde après seconde pour faire taire toutes les capacités réflexives. Nous avons vu dans l’information un moyen de nous émanciper, elle est devenue une chaîne qui nous asservit. Ne parle-t-on pas de chaîne TV ? Il n’y a pas de hasard sémantique.

Le flot du temps réel informationnel détruira la démocratie, et au-delà le rêve des Lumières. Il nous mène à une humanité décérébrée. Ne perdons pas une seconde. Coupons-nous tant qu’il est encore temps. Tournons-nous vers les créateurs qui œuvrent dans les dernières îles de quiétude, sur le Net et ailleurs. Mais n’attendons pas que les informateurs professionnels, et leurs épigones miséreux amateurs, nous en révèlent l’existence. Je n’ouvre qu’une piste, à vous d’en suivre tous les écheveaux. À partir de là, un nouveau monde se révèlera.