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La ligne droite n’est pas le plus court chemin

Un ami engagé en politique m’a demandé avec quel parti politique j’aimerais collaborer. Je lui ai répondu que ce parti n’aurait aucune ambition électorale, ce serait donc un a-parti, un à côté des partis, son ambition serait de faire émerger un sentiment collectif de vaste ampleur qui accessoirement viserait, peut-être, à un moment lointain de son histoire, si rien n’avance, quelques positions électives.

Ce a-parti s’inspirerait des mouvements de consommateurs initiés par Ralph Nader et de la lutte non violente de Gandhi. En refusant avant sa vieillesse les confrontations électorales, il s’engagerait franchement dans le gagnant-gagnant, acceptant en son sein des membres des autres formations dont il ne serait en aucune manière l’adversaire. Au contraire, son but serait d’aider tous ceux qui exercent le pouvoir à mieux l’exercer.

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Comme l’a fait remarquer Casabaldi qui participait à la conversation, la ligne droite n’est pas toujours le plus court chemin. Quand on veut changer la société, viser un poste électif n’est pas la seule méthode… j’ai même tendance à croire, au regard d’expériences récentes dont je parlerai un jour, que cette voie directe est si parsemée de chausse-trappes qu’elle ne présente aucun intérêt, sinon celui de nous faire perdre beaucoup de temps en conciliabules.

Pour moi, il est temps de réinventer de grandes idéologies. Contrairement à ce que supposait Fukuyama, l’histoire ne s’est pas arrêtée à la fin du XXe siècle. L’histoire ne s’arrêtera pas tant qu’il y aura des hommes qui respireront. Nous avons besoin de grandes idées pour nous pousser en avant, aujourd’hui plus que jamais. Nous avons besoin de nous enflammer pour des rêves.

Si j’en avais le courage, je me lancerais dans l’écriture d’un livre idéologique, un anti-Fukuyama. Mais n’est-ce pas ce que j’ai déjà fait avec Le Peuple des connecteurs et ce que je fais sans cesse ici. Je ne prétends pas décrire la réalité mais proposer des pistes pour remodeler notre réalité. C’est une approche idéologique. Elle se résume en trois points.

Objectif 1 : protéger le patrimoine commun

Nous avons hérité de nombreuses ressources naturelles en quantité limitée, ces ressources doivent être préservées car elles n’appartiennent à personne, surtout pas à ceux qui vivent au-dessus. Nous devons au plus vite renoncer à réduire le stock des ressources non renouvelables, le pétrole par exemple. Nous pouvons consommer de l’eau mais pas amoindrir le stock d’eau. Nous pouvons pêcher mais pas abaisser le stock de poissons.

Nous devons replacer nos actes dans un monde actuellement fini. Nous devons préserver l’avenir de ce monde pour y préserver notre santé et celle des générations à venir.

Objectif 2 : libérer le travail

Tout comme les ressources communes ne peuvent être accaparées et exploitées par les uns ou les autres, le fruit du travail ne peut être accaparé, enfermé, maintenu à l’état de rareté pour lui maintenir une valeur marchande sans rapport avec le coût de production.

Certaines de nos créations, notamment les créations intellectuelles et culturelles, constituent nos nourritures spirituelles. Restreindre leur circulation équivaut à polluer l’air et restreindre notre capacité à respirer. Nous devons non seulement préserver ces créations mais, profitant du fait qu’elles sont renouvelables, les rendre plus abondantes et disponibles pour maximiser la puissance de notre intelligence collective.

La société des connecteurs

Décider de préserver le pétrole comme l’uranium, ressources non renouvelables aujourd’hui, implique le passage aux énergies renouvelables, énergies qui ne peuvent être produites efficacement que de manière décentralisée.

La culture ne peut être libérée que si elle circule de point à point et évite d’être concentrée entre les mains de Majors tentaculaires.

Ces deux exemples montrent que les deux objectifs ne peuvent être atteints que par une réorganisation de la société. La préservation des ressources et la libération du travail passe par un changement de méthode : le développement de la longue traîne.

Ce développement peut être initié, développé, favorisé par les citoyens libres. Un a-parti pourrait le promouvoir. Chacun de ses membres serait un activiste de la longue traîne.

Nous devons construire une société d’hommes et non d’organisations, nous devons favoriser le réseau plutôt que le pyramidal car l’un coûte moins que l’autre dans la poursuite des deux objectifs.

Je ne viens même pas d’esquisser une idéologie, juste une collection d’idées évidentes, déjà rabâchées, mais pourtant encore combattues. La droite s’accroche à la propriété intellectuelle, elle croit que quelques hommes doivent commander à tous, elle croit que les Majors sont plus rentables que les petits. La gauche lutte pour défendre les privilèges de quelques uns et oublie de défendre la Terre sans laquelle rien ne serait possible. Sur cette voie, elle s’enlise dans une lutte des classes éculées alors qu’il s’agit de préserver notre santé à tous, non pas de nous affronter les uns les autres.

Ces quelques idées, aussi triviales soient-elles, ne sont jamais défendues en même temps par aucun parti politique. Elles s’inspirent des écologistes, des alters, des hackers, des libéraux… mouvements qui se parlent peu car ils n’ont pas mesuré combien leurs idées fondamentales se tiennent et se soutiennent en un tout cohérent.

Notes

  1. Sur une Terre peu peuplée et technologiquement peu développée, les ressources naturelles étaient quasi inépuisables. C’est parce que nous avons la capacité d’épuiser les ressources, et que ce faisant nous mettons en danger l’équilibre de la biosphère, que nous devons changer de méthodologie. La menace du réchauffement climatique n’est qu’un problème particulier. L’épuisement des stocks et la pollution généralisée sont plus dangereux encore.
  2. Les ressources naturelles sont rares, le travail abondant. Notre société dilapide ce qui est rare et enferme ce qui est abondant pour en restreindre la créativité. Il faut lever cette contradiction.
  3. La préservation des ressources non renouvelable est-elle possible ? Le premier objectif est-il accessible ? Sommes-nous capables de nous auto-suffire avec pour seul apport externe l’énergie solaire ? J’ai des doutes : nous sommes presque sept milliards, bientôt dix. Nous devons viser cet objectif tout en sachant que nous risquons de ne jamais l’atteindre.
  4. D’un autre côté, comme certains conservateurs ultralibéraux, nous ne pouvons pas parier sur des innovations technologiques qui nous permettraient de nous affranchir des stocks en cours d’épuisement. Si l’innovation tardait trop, ce serait la catastrophe.
  5. Au cours de l’évolution, certaines catastrophes ont été salutaires parce qu’elles ont conduit à la vie telle que nous la connaissons. Je parle de catastrophe au regard de notre mode de vie et de l’humanité actuelle.
  6. Parce que le premier objectif est surement inaccessible, l’innovation technologique est indispensable. Plus nous innovons, plus nous allongeons la durée de vie des ressources planétaires.
  7. Si le premier objectif s’avérait inaccessible, un principe de précaution trop dur pourrait nous être fatal. L’épuisement inéluctable de certains stocks ne pourra être combattu sans prise de risque. Pour minimiser les risques, nous devons adopter des approches distribuées… elles distribuent les risques tout en multipliant les initiatives et donc les solutions.
  8. Durant la campagne présidentielle 2007, François Bayrou a réveillé certaines des idées que je viens d’évoquer pour les trahir aussitôt en créant le Modem, un parti démocratique qui n’a de démocratique que le nom, un parti qui s’engage dans le vieux modèle perdant-gagnant, tout en l’honneur de son fondateur divinisé.
  9. Je crois que beaucoup de gens qui ont rejoint le Modem pourraient être tentés par un a-parti, beaucoup de gens qui n’ont jamais voulu faire de politique aussi… un a-parti pourrait rassembler des centaines milliers d’hommes et de femmes, ce n’est qu’à cette condition qu’il deviendra un mouvement politique effectif.
  10. Le a-parti, ne visant aucun poste électif, n’a aucune raison de s’en tenir à la législation qui régit les partis politiques. Par exemple, il pourra se financer par les dons. Ses membres pourront créer des banques, des assurances, des réseaux de distribution… la politique du XXIe siècle doit être dans l’action et non dans la revendication.